Naguère un caricaturiste s’amusait à faire s’écrier soudain à deux sérieux personnages jusque-là en discussion posée tandis qu’ils étaient confrontés à une situation inédite et stressante pour l’exercice de leurs responsabilités : « la seule solution rationnelle, c’est la panique ! » et il les faisait partir en courant sans but, les cheveux hirsutes et les yeux fous…

La violence de la crise sanitaire sans précédent de 2020 et le caractère insaisissable de cette pandémie pourraient nous inciter à la panique : symptômes cliniques multiples, origines incertaines, incertitudes médicales quant aux traitements, frénésies médiatiques et défiances des réseaux sociaux, menaces effroyables sur les populations mondiales en grande précarité, retour à des remèdes ancestraux comme la quarantaine et les blocus… Mais en réalité cette éruption cache pour un temps au moins, dans les productions médiatiques et les esprits, les vrais enjeux et les redoutables échéances. Cette crise sanitaire là sera tôt ou tard derrière nous. La mutation sans précédent de la vie sur terre, elle,  est devant. Et cette fois, inutile de chercher un vaccin.

Le dérèglement climatique qui s’emballe, la disparition de la biodiversité qui s’accélère, l’explosion de la pollution de l’air, de l’eau, des sols et des océans provoquent déjà des ravages qui vont s’amplifier dans les sociétés humaines. Nous venons d’expérimenter ce que veut dire une progression exponentielle. Nous allons malheureusement devoir nous y « habituer ».

Il ne sera pas question ici de se lamenter ou de baisser les bras mais de passer à l’action. Mais plutôt que de céder à la panique et de courir sans but, il nous faut réfléchir, vite soit, et apprendre enfin pour affronter les réalités.

Quelques managers territoriaux ont adopté depuis quelques années eux aussi cette nouvelle formule : Nous vivons dans un monde devenu « volatile, incertain, complexe et ambigu » (l’acronyme VUCA pour les Anglo-saxons). Il nous faut donc faire preuve de qualités nouvelles, rechercher une vision, donner du sens, expérimenter, libérer le droit à l’erreur, laisser agir, prôner l’adaptation continue et développer l’intelligence collective…

La gravité et l’urgence de la situation et des perspectives mondiales, tout comme le parti pris de l’agir local, invitent à l’apprentissage. Nous devons apprendre pour vivre en transition, apprendre pour agir.

Soyons donc lucides, entrons en trans : Transgresser, transcrire, transformer, transmettre.

Transgresser est certainement la première marche à gravir. Il faut renoncer au cadre rassurant et presqu’immuable de la confiance dans un progrès éternel si celui-ci ne se traduisait à l’avenir que sous la forme d’une fuite en avant et d’une course folle entre production et consommation de biens matériels. Il faut sans doute renoncer au confort intellectuel d’une idéologie de l’économie du monde d’avant et inventer un nouveau modèle gagnant-gagnant. Déconstruire en allant jusqu’au bout du raisonnement n’est pas une évidence. Il faut s’ouvrir, s’arracher à nos modes de représentations, remettre en question beaucoup de ses repères dominants. A commencer par la liberté et la toute-puissance de l’espèce humaine à jouir du vivant sans entrave et de se moquer des conditions de sa pérennité.

Transcrire dans notre monde, y compris professionnel – cet horizon du local cher aux territoriaux, les évolutions à l’œuvre à l’échelle planétaire. Tirer les conclusions pour l’économie, le social, le culturel, l’agricole, l’aménagement du territoire, l’énergie, les mobilités, la santé, l’éducation… Cette transposition des nouvelles approches dans nos anciens horizons spatiaux et temporels ne va pas de soi, loin s’en faut. Ce sera beaucoup de travail.

Transformer l’action publique. Revoir de fond en comble les politiques publiques, leurs objectifs, leurs cibles détaillées en fonction des publics et des territoires, leurs interactions, leurs modalités de mise en œuvre, leur éco responsabilité, les partenariats nécessaires à leur réussite et à l’optimisation de leur effet de levier… Il faut bien sûr revoir ou réinventer les outils au service de l’action et jusqu’aux modalités de mesure, de comptabilité et de rapportage de leurs résultats. La tâche est immense et ardue. Tant mieux. Notre service public a donc de l’avenir et la fonction publique territoriale aussi.

Transmettre parce qu’apprendre c’est aussi partager et offrir à d’autres ce qu’on a découvert ou tissé. Une génération passe le relais à la suivante. Ce sera vrai des politiques. Ce sera le cas aussi, dans quelques années, des territoriaux qui ont connu les trente glorieuses de la décentralisationEt dans nos organisations, les cadres ne sont-ils pas des courroies de transmission ? Il est grand temps de former les cadres territoriaux du XXIème siècle. Des virages sont pris mais il faut intensifier considérablement la transformation et la transmission.

Notre association professionnelle, les alumnis de l’INET, toutes catégories confondues, invite à une grande mue de la formation supérieure des cadres dirigeants territoriaux. Ayons de nouvelles raisons. Raisons de penser et raisons d’agir.

Lisez et faites lire le nouveau Manifeste de l’ADT-INET : Anthropocène et pouvoir d’agir. ICI!