Pour voir le replay, c’est ICI!

Territoires durables et une seule santé : un enjeu pour repenser et évaluer les politiques publiques ?

Le symposium organisé le 23 mai 2023 s’est déroulé avec l’actif soutien de la MNT et du groupe VYV, dont les missions du prendre soin et de l’utilité sociale sur les territoires sont la marque de fabrique essentielle. Ils ont permis au partenariat entre l’association des dirigeants territoriaux et anciens de l’INET et le laboratoire de recherche de l’institut supérieur de management de l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (le Larequoi) de produire à nouveau un temps fort sur un nouveau sujet d’exploration : comment intégrer dans les politiques publiques sur les territoires les déterminants de santé ? Sous l’animation d’Hugues Périnel, journaliste, longtemps directeur de la rédaction du groupe Moniteur et fondateur et Animateur du Cercle des Acteurs Territoriaux. Et la co-présidence d’Annie Bartoli, directrice du Larequoi et de Claude Soret-Virolle, Vice-présidente de l’ADT INET et administratrice de la MNT et du groupe VYV.

 

Didier Bée, président de la MNT a su rappeler que cette mutuelle affinitaire, qui gère la santé au plus près des besoins des adhérents sur les territoires, est une partie prenante essentielle dans l’écosystème des collectivités locales. A cet égard, elle les accompagne dans des actions de prévention pour limiter les risques et faire prendre conscience à chacun de l’importance du maintien en bonne santé. Elle constitue un quasi ministère du « mieux être » en touchant à travers les collectivités à l’éducation au logement, aux énergies… Stéphane Junique, président du groupe VYV, a naturellement pris le relais des propos d’une des maisons constitutives du groupe. Un groupe qui a la particularité, au-delà de son périmètre prudentiel, d’agir sur les territoires à travers ses composantes logement, services et établissements de soins. Dans chacun de ces secteurs, des expérimentations sont conduites sous le double sceau de la prévention et de la réparation, dans un souci de décloisonnement. Car « la santé va bien au-delà » du soin. L’approche santé doit être globale et intégrer durablement la dimension prévoyance. Il convient pour cela d’agir de façon collective et de partager le défi d’une santé comme bien durable, raison pour laquelle les collectivités ont un rôle central car tout se construira à partir des territoires. Il a insisté sur l’importance de nos capacités de créativité et d’imagination pour faire face aux transformations profondes de notre société et sur le fait que tout se construira à partir des territoires.

Pour embarquer les acteurs de terrain, France Burgy, directrice générale du CNFPT, a rappelé les enjeux du CNFPT : celui de former non seulement les encadrants (en faisant référence à la création au sein de l’INET du Cycle Supérieur de la Transition), mais également l’ensemble des agents de terrain qui tous, dans leurs actions de proximité, concourent de près ou de loin à la transition écologique, devenu le fil rouge du projet d’établissement. Ce dernier se décline non seulement dans les événements nationaux organisés selon les cas avec les associations professionnelles (cf. le colloque « transition écologique des 14 et 15 mars 2023 à Bordeaux) mais également dans les plans de formation toute thématique confondue. Car c’est bel et bien d’une prise de conscience du lien fort de l’humain par rapport à son écosystème, de la nécessité de respecter les grands équilibres homme-nature qu’il s’agit. Il faut pour cela aller vers une approche éco-systémique et de tenir compte des inégalités sociales dans le management (75% des agents étant de catégorie C) et dans l’action territoriale. Il y a un fort besoin de diffuser la connaissance santé peu enseignée à l’école et déboucler le silotage des connaissances scientifiques. « Faire trajectoire commune » avec les parties prenantes est une nécessité pour trouver ensemble le logiciel du futur, ce qui implique d’aller vers les populations pour garantir l’acceptation sociale.

Annie Bartoli, directrice du laboratoire de recherche LAREQUOI, a insisté sur l’articulation à trouver entre recherche et action publique, pour créer de la « connaissance actionnable », en étant le plus possible en interaction avec la mise en pratique. Elle a plaidé pour un « management responsable et intégré ».

Une seule santé : un concept au service des territoires

Sur ce champ, Serge Morand, chercheur en écologie de la santé au CNRS, a ré-insisté sur le caractère intersectoriel et intégratif du concept d’une seule santé. Qu’il s’agisse des sciences sociales, des sciences médicales, il appartient aux différents secteurs de la société de conjuguer leurs interventions dans un esprit de justice sociale et environnementale. Ne pas oublier « d’inspirer et de s’inspirer », de se poser des questions simples : comment impliquer le citoyen dans une véritable approche démocratique, comment faire en sorte que les décisions et le dialogue territorial s’appuient sur des connaissances scientifiques, comment repenser les infrastructures, comment mettre en œuvre des indicateurs de bien-être… ?

Virginie Migeot, professeur de santé publique, Université de Rennes, service d’épidémiologie et de santé publique au CHU de Rennes, s’est attachée à plusieurs définitions de la santé.

– Une absence de maladie : la notion de santé s’appuie donc sur des risques avec des indicateurs biologiques

– une définition de l’organisation mondiale de la santé en 1946 qui définit la santé comme un état complet de bien-être physique mental et social

– une définition qui s’attache à décrire la capacité d’adaptation à surmonter les crises organiques. La santé n’est pas un état : il s’agit d’une vision dynamique dans un continuum entre le pôle santé et le pôle maladie qui conduit à la « salutogenèse », laquelle pousse les gens à être en bonne santé et permet de mobiliser en ce sens leurs ressources, pour pouvoir « devenir ce que l’on veut devenir ».

Ainsi, nous sommes entraînés dans un état constant de réconciliation dans notre vision du monde en adoptant une vision plus universelle de la santé et centrée sur la notion d’équilibre.

Elle a également rappelé l’importance de ne pas faire seulement « pour » les citoyens, mais « avec eux », à travers l’expérience de « la Vie la Santé », une maison pédagogique d’éducation thérapeutique permettant aux patients de (re)mobiliser des ressources pour retrouver la santé.

François Coleno , directeur de recherche à l’INRAE, a développé, à partir d’un exemple concret d’un fléau touchant les pieds de vigne (enroulement de la vigne) et visant sur un même territoire de nombreux agriculteurs sur des parcelles distinctes, la théorie des communs. Ou comment « repenser collectif » au regard des intérêts individuels et des enjeux de territoire pour régler d’éventuels différents, en utilisant le jeu sérieux.

Célia Colombier, chargée de mission du réseau ISEE (Île-de-France Santé Environnement) a mis en évidence les interdépendances entre la santé de l’homme, la santé animale et tout l’écosystème. Comment penser global, « one health », à travers l’ensemble des politiques publiques ? Elle a a rappelé que tous les échelons des collectivités ont des compétences leur permettant d’agir dans ce domaine (ex : documents d’urbanisme) et a décliné les cadres contractuels que la puissance publique met en œuvre : le plan régional santé environnement dont la région est chef de file, les contrats locaux de santé qui intègrent la notion de santé environnementale et plus généralement le concept de santé dans toutes les politiques publiques. Il convient de veiller aux conditions de réussite parmi lesquelles un portage politique fort, l’association de nouveaux acteurs, la formation des agents et des élus, la participation citoyenne, l’acceptation d’une démarche itérative intégrant le droit à l’erreur, mais aussi les moyens. La prévention ne représente que 2% du budget de la santé.

La fabrique de la santé dans les territoires : au cœur de la transition

Plusieurs monographies vidéo ont permis de faire état d’expériences de politiques publiques de santé portées par les collectivités. Gérard Guillaume, président de Billom Agglomération, Jean-Francois Montagne, 8ème vice-président et Delphine Capet, directrice adjointe «  aménagement des milieux et valorisation territoriale » à la communauté urbaine de Dunkerque, Armelle Nicolas, 6ème vice-présidente de Lorient agglomération, Zeineb Lounici, conseillère municipale à la ville de Pessac et Yves-Jean Bignon, 2ème adjoint à la Ville de Vichy ont permis de faire état des politiques engagées sur leur territoire : comment prendre en compte les enjeux de santé dans la définition des politiques d’urbanisme, dans la définition des plans mobilités , dans la communication auprès des citoyens… autant de démarches accompagnées d’une réflexion amont sur les indicateurs d’évaluation. Une politique des petits pas, parfois des grands pas à l’échelle d’un grand territoire dont on peut espérer qu’elle se déploie et qu’elle finisse par percoler de manière durable à une maille géographique plus large.

Les échanges avec la salle ont permis de prendre conscience que le sujet « One health » pouvait être un outil de management vers davantage de transversalité.

Corinne Rochette, professeure des universités, IAE de Clermont Ferrand, a synthétisé les apports des monographies vidéo. Elle a mis en évidence que le concept d’une seule santé était parfois inconscient. Les citoyens deviennent malgré eux des sentinelles et aident à valoriser l’expérience usager.

Il convient d’intégrer dans le concept d’une seule santé toutes ses dimensions et d’y adjoindre la notion de santé sociale car l’isolement peut conduire à une détérioration de la santé. Le récent épisode COVID l’a largement induit. On évoque souvent dans les déterminants de santé les mobilités douces, l’action physique adaptée, la nutrition, l’intérêt des circuits courts : on rentre dans ce cas par une approche dite pathogénique. Mais il convient de ne pas laisser pour compte la question de la santé mentale.

L’approche du concept d’une seule santé suppose d’injecter de la connaissance et de la donnée. On est sur ces sujets dans des systèmes d’évaluation complexes qui mélangent intuition et ressenti. Comment intégrer l’impact des espaces verts, des jardins thérapeutiques sur la santé des populations ? Le but au fond n’est-il pas de fédérer, d’embarquer, de prioriser et de convaincre? Pour cela, associations, élus, citoyens, professionnels de santé doivent collaborer sur un diagnostic partagé pour comprendre l’interaction des différents facteurs déterminants des risques.

Jacques Wolfrom, directeur général d’Arcade VYV, place le logement au cœur de la problématique santé des citoyens. Comment se sentir bien si l’on n’a pas de ressources, si l’on n’est pas logé ?  Il rappelle que 2 300 000 personnes sont dans l’attente d’un logement social et que cette urgence télescope parfois la soutenabilité de certains modèles économiques…Le groupe Arcade VYV a développé un label : « mon logement santé ». L’objectif est d’accompagner les personnes dans leur parcours de santé, de rendre désirable l’acte de construire et de promouvoir le bien commun. En associant tous les acteurs autour d’un urbanisme responsable, en faisant de l’habitat un outil commun au service de la santé des habitants, peut-être pourra-t-on, à travers la santé, réconcilier le citoyen avec les politiques publiques. Dans une politique du logement, il s’agit de se souvenir que « l’important, c’est le vivant, pas la pierre ».

Il conviendra d’arbitrer les paradoxes : dans un contexte où le sol qui devrait être un bien commun est devenu un bien d’enrichissement, comment concilier la trajectoire de zéro artificialisation avec la demande de logement ? Il existe de la place dans le bâti existant conçu avec de grands espaces à l’origine et cela amène à repenser le logement dans la durée. Le logement est un corps vivant et on peut lui redonner une seconde vie. Les grands espaces ne sont plus nécessaires et repenser les trames devient une priorité. La pierre est un outil par rapport à un usage et le logement peine à réconcilier l’économique et le social. Mais la santé est le fil rouge qui permet de réconcilier le citoyen avec une multitude de politiques publiques.

L’évaluation d’impact sur la santé : nouvelle approche des politiques publiques

Mettre la santé au cœur des politiques publiques suppose de s’intéresser à l’évaluation des impacts. Françoise Jabot, professeure honoraire, à l’EHESP, a présenté le concept de l’Urbanisme Favorable à la Santé (UFS) et a développé les différents aspects de l’un des outils de l’UFS : l’Evaluation d‘Impact sur la Santé (sélection, cadrage, estimation, recommandation, suivi et évaluation). Un cadre précieux pour structurer la réflexion, piloter l’anticipation et assurer un cadre scientifique robuste à la mesure d’impact. Cet outil permet de réunir une grande diversité de données et de sources, depuis les données probantes de la littérature, l’observation de terrain et la modélisation, jusqu’aux savoirs d’usage de la population, en passant par les connaissances des agents et des élus. Elle a rappelé l’importance dans ces méthodes de l’intégration des citoyens dans la démarche et de la prise en compte de la justice sociale : comment faire en sorte que les plus vulnérables bénéficient autant, voire plus que les autres, en termes d’impacts sur la santé ? Pour la réussite de l’utilisation de ces outils, les ingrédients essentiels sont l’engagement politique, le leadership, et le bon calibrage du temps, des moyens et des compétences nécessaires.

Dans le même esprit, Sébastien Lodeiro, coordinateur régional du dispositif COMODEIS, de l’IREPS Nouvelle Aquitaine (Instance Régionale d’Education et de Promotion de la Santé) insiste sur le fait que les évaluations d’impact santé sont un instrument d’approche globale, pour acculturer les collectivités à la prise en compte de la santé dans toutes les politiques. A condition que les différents services se parlent, que la démarche soit perçue comme un outil de dialogue. Il cite notamment leur application aux schémas de mobilité ruraux, aux plans alimentaires territoriaux… Christine Ferron a relayé ses approches conceptuelles par des retours d’expérience : il convient, dans la mesure des impacts de santé, de prendre en compte l’environnement financier, économique, les habitudes de vie de la population, l’environnement social, la qualité de vie. À titre d’exemple, les mesures de confinement liées au COVID ont eu des impacts sur les parcours éducatifs, le lien social, les états de santé psychique, les addictions aux écrans, les conditions de logement…

 

Et après ? Comment se préparer aujourd’hui pour faire mieux demain ?

Muriel Andrieu-Semmel, directrice de la transition écologique et de la nature en ville, de la ville de Marseille, aborde la question du lien entre la politique environnementale et la politique de la santé, nécessitant d’accorder une importance toute particulière à l’implication citoyenne. Dans la réconciliation avec le vivant, il importe que toutes les parties prenantes convergent vers un même but. Peut-être faut-il des temps communs dissociés du temps politique. À noter que l’État a une posture d’ensemblier, de catalyseur, d’accompagnant et seules les démarches englobantes, incluant les contrats de ville, permettent un alignement des acteurs. Reste qu’il convient de toucher la sensibilité de chacun. La fresque interactive « one health », développée par l’Ecole Nationale des Services Vétérinaires, est pour cela un outil précieux.

Henri-Corto Stoeklé, bioéthicien, responsable étique au département d’éthique et intégrité scientifique, Hôpital Foch, a signalé que la pandémie avait réactivé la collaboration entre les vétérinaires et les médecins qui ne s’est d’ailleurs pas limitée aux conséquences infectieuses mais l’occasion était d’avoir une vision globale, une « ouverture à la cité ». Il est à noter que l’université s’ouvre progressivement à sa responsabilité sociale et sort de deux siècles de positivisme. Elle s’attache à redonner aux étudiants une réflexion qui va bien au-delà du technique et qui pose la question du pourquoi. L’éveil des consciences passe par des conférences accessibles tant aux étudiants qu’à tous. Le concept de citoyenneté sanitaire ou de démocratie sanitaire commence à faire son apparition grâce au partage de connaissances.

Conclusion

Céline Mougard, conseillère et « formatrice nature, santé et territoire » repose la question plus fondamentale : « quelles sociétés voulons-nous ? ». Car la capacité à maîtriser les déterminants de santé corrélés avec un équilibre de l’offre de soins concourt à l’attractivité d’un territoire. Il s’agit de replacer l’humain au cœur de son contexte : nous vivons aujourd’hui dans des socio-écosystèmes au sein desquels il est possible d’utiliser de nouveaux indicateurs du bien-être soutenable, passant par une approche systémique et ne séparant plus humains et nature. De ce point de vue, le concept d’une seule santé est une opportunité pour penser l’innovation différemment, par exemple en proposant des méthodes d’éducation sensibles ou en donnant la priorité au vivant et à la participation des habitants.

Bruno Paulmier, président l’association des dirigeants territoriaux et anciens de l’INET, met en exergue les inégalités territoriales et sociales croissantes qui appellent un management responsable, d’avoir l’audace et le courage de sortir de sa zone de confort pour traiter les problématiques. Face à une humanité avec de telles fragmentations, la notion d’éthique doit être abordée dans le management public en devant être remise au centre des préoccupations.

Annie Bartoli rappelle que nous disposons, dans tous les domaines, de connaissances extrêmement pointues. Mais il convient d’interconnecter toutes les disciplines pour avoir une approche globale. Le but est : comment créer de la santé au lieu de créer de la maladie ou comment faire du concept de »one health » un outil de management ? Nous sommes dans un monde où il y a beaucoup d’initiatives, de prises de conscience, un monde de bouillonnement et de complexité qui peut conduire en cas de crise à des processus de sidération. Il nous faut interroger le pourquoi (le sens) et le pour quoi (vers quoi). Saisissons donc l’opportunité d’une prise de conscience, cessons de mettre en place des règles et procédures universelles mais bien plutôt des objectifs, des repères nécessitant adaptation au cas par cas.