Dans cette période particulièrement difficile, qui coïncide aussi depuis quelques jours avec de nouvelles annonces du Gouvernement concernant la réforme de la Haute Fonction Publique, afin de promouvoir une plus grande diversité dans l’accès aux emplois et fonctions de hauts fonctionnaires des trois versants, l’Association des DRH des Grandes Collectivités propose une série de podcast sur le thème : »éthique et fonction publique ».
Et qui mieux pour parler d’éthique et de fonction publique que celui à qui l’on doit le statut général de la fonction publique, l’Ancien Ministre Anicet LE PORS, qui donne dans cette interview passionnante d’un peu moins de 40 minutes, son point de vue sur les évolutions en cours, notamment du fait de la contractualisation et ce qu’il nomme « l’éthique de responsabilité des fonctionnaires ».
Interviewé par Mathilde ICARD, Présidente de l’association des DRH des Grandes Collectivités et DGS du CDG du Nord.
La retranscription intégrale des échanges est disponible ICI
On peut retenir de cet échanges quelques points clés :
La raison d’être du statut de la fonction publique, reste le service de l’intérêt général, assuré par des administrations au sein desquelles « exercent des fonctionnaires qui doivent être protégés de tout ce qui pourrait les faire dévier du service de l’intérêt général », et c’est pour cela qu’il y a un statut qui se situe au niveau de la loi, pour poser les principes de cette protection et c’est avec cette philosophie générale que le statut a été élaboré en 1983.
Ce statut est basé sur 4 choix :
1- Celui du fonctionnaire citoyen, opposé à la notion de fonctionnaire sujet
2 L’affirmation du système de la carrière, qui fonde la durabilité de l’exercice des missions au sein de la fonction publique
3 – L’équilibre entre 2 principes constitutionnels, entre les principes de la République et le principe de libre administration des collectivités territoriales, ce qui a donné naissance aux 3 versants de la fonction publique.
4- Des principes enracinés dans notre histoire, celui d’égalité inscrit dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, le principe d’indépendance des fonctionnaires et le principe de responsabilité, dont il souligne l’importance, en renvoyant à l’article 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyens, « rendre compte de l’exercice de sa fonction ».
Pour Anicet LE PORS, dans la définition de l’éthique, il faut distinguer l’approche globale qui se rapproche d’autres concepts, ceux des valeurs, droits et obligations, la morale.., d’une approche individuelle qui permet de définir un comportement éthique : « c’est le principe de responsabilité qui s’identifie le mieux à l’éthique ». De ce point de vue le statut a favorisé le fait que les fonctionnaires sont des citoyens de plein droit qu’il sont « propriétaires » de leur grade et en mesure d’alimenter les dialectiques entre le particulier et le général.
Il énumère ainsi les articles du statut qui renvoient à ce principe de responsabilité :
le fonctionnaire a la responsabilité de se consacrer aux tâches qui lui sont confiées,
le fonctionnaire doit se conformer aux instructions, pas se soumettre aux ordres, il garde la possibilité d’une appréciation personnelle, sauf ordre manifestement illégal, le fonctionnaire est ainsi placé devant ses responsabilités, il a le droit de dénoncer en cas de menace pour l’ordre public, c’est une forme de respect de sa dignité et de sa citoyenneté.
le fonctionnaire quel que soit son niveau n’est pas relevé de sa responsabilité par celle des personnes qui lui sont subordonnées, il doit assumer sa propre responsabilité à son niveau et le cas échéant celle de ses subordonnés.
Le statut constitue pour les fonctionnaires un cadre avec quelques règles, qui ne disent pas tout, le fonctionnaire est donc libre de se poser les questions de fonds et de forme qui caractérisent sa fonction, c’est ce souci de liberté qui va de paire avec la mobilité, qui est une liberté fondamentale dans le statut.
Ces affirmations rappellent étrangement tous les débats actuels que nous avons autour de nouvelles pratiques managériales, qui visent justement à rappeler les principes d’autonomie et du pouvoir d’agir et de responsabilité des managers publics.
Anicet LE PORS fait part également de ses réserves sur les questions de déontologie et de la Loi de Transformation de la Fonction Publique qui comporte des risques d’une « intrusion du privé dans les activités de service public avec les risques de conflits d’intérêt, voire de corruption » qui font perdre le sens de l’intérêt général, il évoque la « captation de l’action publique » et la confusion sur la finalité du service public.
Il dénonce également les pratiques du New Public Management qui n’ont pas fait leurs preuves dans la gestion de la crise sanitaire ! Il parle plutôt d’un fiasco du NPM, alors que ce sont les « collectifs de base » qui méritent l’admiration, ils ont montré une efficacité dans la manière de servir l’intérêt général, et devraient inciter les administrations à passer à des méthodes de gestion efficaces, démocratiques et favorables à l’initiative des fonctionnaires à tous les niveaux.
Enfin, compte tenu de l’actualité, Anicet LE PORS termine son échange sur la question de la formation des hauts fonctionnaires, il dénonce la tendance des formations du public à « singer le fonctionnement du privé pour ressembler aux capitaines de l’industrie » !, le fonctionnaire ne doit pas être quelqu’un de conforme, et encore plus en temps de crise, il faut faire « appel aux esprits vigiles pour défendre la spécificité de la fonction publique à la française ».
Il termine sur une conception de l’intérêt général qui renvoie à l’interdépendance du monde, l’apparition de nouvelles coopérations nécessaires, de plus en plus de solidarité, un destin commun, l’affirmation des droits de l’homme, la question écologique…toutes ces préoccupations sont un condensé de ce qu’ l’on appelle le service public.
Il l’affirme « le XXI siècle sera l’âge d’or du service public tel que nous en avons la conception dans notre pays ».