Le manager territorial : Quel rôle dans le débat public ?
Symposium 04/02/2016 – ADt inet, LAREQUOI
Problématique du symposium
Les processus contribuant à la décision publique connaissent de nouvelles évolutions (questionnements sur la démocratie représentative, la place des valeurs du service public, la révolution numérique, la reconfiguration territoriale…). Dans ce contexte, le rôle et la légitimité du manager territorial dans le débat public nécessitent d’être repensés.
Claude SORET-VIROLLE , Présidente de L’ADT Inet et Annie BARTOLI, professeur des Universités et directrice du Larequoi, le Laboratoire de recherche en management de l’Institut Supérieur de Management (ISM) de l’Université de Versailles Saint Quentin en Yvelines, ont accueilli 120 participants à cette occasion. Julie Boiveau, facilitatrice graphique a traduit en images les idées fortes de nos intervenants.
Pour une première mise en bouche: lire la synthèse du Larequoi!
Véronique ROBITAILLIE, directrice de l’INET, a rappelé la volonté de cette grande école de la fonction publique territoriale d’accompagner les cadres pour mieux appréhender les mutations de leur environnement. Il importe d’être « plastique », d’être en capacité de manager dans l’incertitude, d’assumer des positionnements complexes vis-à-vis des élus et d’acquérir une légitimité dans la compréhension des besoins citoyens. Elle a rappelé l’importance de la collaboration avec l’ADT Inet pour contribuer à éclairer les évolutions pédagogiques des cycles de formation continue.
Le débat public de quoi parle t’on ?
Intervention du « Grand Témoin » : Jean-Paul Delevoye, ancien ministre, ancien président du Conseil Economique, Social et Environnemental et intervention de la spécialiste « Fil Rouge » de la journée : Cécile Blatrix, professeur de Science Politique, AgroParisTec.
Jean-Paul DELEVOYE, grand témoin de cette journée, a donné le ton : « Nous ne sommes pas en crise, nous sommes en métamorphose ». Nous vivons une révolution culturelle qui donnera le pouvoir à ceux qui sauront s’adapter et challenger par l’intelligence. Les idéologies politiques disparaissent, laissant place à une forme de désobéissance citoyenne. Il convient de se remobiliser et notamment en laissant place à un vrai débat citoyen qui compensera la faiblesse actuelle du projet politique. Faute de quoi les peurs et l’incertitude risquent d’aboutir à une radicalisation des rapports sociaux. La révolution technologique est bouleversante et permet une circulation accélérée de l’information. Il faut veiller, dans la conduite du débat public, à ce qu’il y ait une appropriation des sujets par le non spécialiste. La recherche de communautés d’intérêt est un enjeu fort pour ne pas éloigner la décision du citoyen. Exploiter l’intelligence citoyenne, renforcer l’attractivité des territoires sur des logiques de bien-être constitue une feuille de route pour les dirigeants. Le citoyen vit sur un territoire et il est important qu’il n’en soit pas qu’un simple consommateur. Plus l’approche se fera de manière formelle, à partir de processus, plus elle sera contestée. L’homme a besoin de croire et viser un idéal. L’heure est au passage d’une société de la performance à une société de l’épanouissement. Il ne s’agit pas de remettre en cause la démocratie représentative mais d’infléchir ses modes d’exécution.
Cécile BLATRIX, Professeur des Universités, Agro Paris Tech, a rappelé la complexité du concept de débat public. Le terme générique recouvre différentes approches : concertation, délibération, légitimité, démocratie. Deux institutions majeures portent le débat public : la Commission Nationale du Débat Public, créée en 1995 et le Conseil Economique, Social et Environnemental. Mais d’autres formats institutionnels vivent à l’échelle des territoires et les réseaux sociaux ont révolutionné les modes d’expression de la parole citoyenne.
Cécile BLATRIX a présenté les résultats partiels d’un questionnaire soumis aux dirigeants territoriaux pour savoir comment ils voyaient leur rôle dans la conduite du débat public et les politiques de démocratie citoyenne mises en œuvre dans leur collectivité. Ces résultats feront l’objet d’un approfondissement ultérieur, les temps d’exploitation par les étudiants de SPES ayant été très courts. Le résultat le plus probant est le très faible taux de participation : 54 répondants contre plus de 200 lors des précédents symposium. L’intérêt de la question ne semble pas en cause. On assiste vraisemblablement à une gêne, une interrogation sur la légitimité du dirigeant à conduire le débat sans qu’une ligne de conduite claire n’ait été établie vis à vis des élus. Il y a peut-être également un réflexe naturel à limiter ce qui peut être mis en débat. Enfin, la question des moyens alloués au débat public peut poser question et la peur de l’éventuelle violence du débat être un frein à son organisation.
Eclairage de citoyens et acteurs socio-économiques
Table ronde animée par Boris Petroff et Mourad Attarça avec Michel Delamaire, Conseil Général de l’Essonne, Bénédicte Madelin de « Pas sans nous » et Jean Djemad, Association Black, Blanc, Beur.
Michel DELAMAIRE, DGS du Conseil Départemental de l’Essonne et ancien DGS de la CCI de Versailles / Val d’Oise/ Yvelines a partagé son expérience éprouvée du monde territorial et sa connaissance du monde de l’entreprise. Il a retracé l’expérience pilote des Assises de l’Essonne organisées fin 2015 qui ont réuni 500 participants au sein de plusieurs ateliers thématiques centrés sur l’identité du territoire, le vivre ensemble, le vivre en parité, le développement durable et la transition numérique. . La méthode était claire et propice à l’émergence d’une intelligence collective. La force du pilotage politique par le Président et le DGS ont été un atout et le bilan est positif : les acteurs du territoire, les corps constitués, ont été sensibles au fait d’être entendus et leur constat est d’une très grande lucidité sur les contraintes budgétaires des collectivités. Cette démarche s’est faite parallèlement à la création en 2013 du CESE départemental, permettant de recueillir les avis des acteurs économiques et sociaux.
Le rôle du manager selon lui est :
- de préparer les événements et de faire vivre une méthodologie permettant de valoriser l’intelligence collective avec un suivi des préconisations et une politique de communication adaptée.
- D’organiser à partir des contributions citoyennes une vision partagée du territoire.
- De contribuer à « nourrir » techniquement le débat pour permettre à l’élu de s’approprier concrètement la démarche.
L’expérience du monde économique a permis à notre intervenant d’éclairer la relation aux entreprises. Entreprises et collectivités ne vivent pas dans le même espace temps. Le temps de l’entreprise est un temps court. Celui de la collectivité s’inscrit dans une perspective pluriannuelle. Les entreprises peinent à exprimer leurs besoins, vivant dans une sorte d’univers parallèle, en position de défense. Il n’y a pas d’expression spontanée du besoin, pas forcément de prospective long terme, en particulier pour les petites et moyennes structures.
Bénédicte Madelin relate ses expériences au sein de « Profession Banlieue » et au sein de la coordination nationale « Pas sans nous ». Elle insiste sur la place des habitants dans la politique de la ville et, en tant que membre de la commission Bacqué-Mechmache, des constats et des propositions du rapport « Pour une réforme radicale de la politique de la ville. Ça ne se fera plus sans nous ».
Certains mécanismes ont fait reculer la participation citoyenne : appels à projet qui ont mis en concurrence les personnes au lieu de les associer , ont réduit la cohésion sociale, mis en concurrence les personnes plutôt que de les inciter à coopérer. Il faut sortir des appels à projets car c’est une évolution négative pour la participation citoyenne. L’outil « Assises citoyennes » doit être manié avec précaution. L’idée est noble mais, au-delà de l’outil, il faut savoir comment on construit la prise de parole citoyenne pour ne pas éloigner les citoyens des lieux d’élaboration des politiques publiques. Les manifestations de type « Assises » peuvent être intéressantes mais parfois cela peut être creux et purement formel.
Il y a des expériences positives comme celle de la Délégation de démocratie participative au Conseil Général 94. Les modèles reposent sur l’organisation de « tables de quartiers ». L’Etat soutient les initiatives citoyennes . On participe là où on a l’impression d’avoir un peu de moyens pour faire bouger les lignes.
Il faut des instances constructives comme cela se fait au Québec par exemple. L’idée part de l’interrogation de « Comment on construit du commun ? ». Pour sortir de la notion « bateau » de l’intérêt général qui ne fait que bâillonner l’expression citoyenne. Par exemple, certaines communes ont mis en place des « conseils citoyens » mais les cantonnent à des sujets mineurs (arbre de noël, galette des rois…). Les conseils n’abordent pas les sujets sérieux ou techniques (PLU…) car les citoyens ne sont considérés comme ne pouvant pas comprendre ces problématiques. Si les citoyens ne sont pas capables de participer activement aux débats qui portent sur tous les sujets qui concernent son quotidien, n’est-il pas temps d’imaginer une « montée en compétence » par une politique active de sensibilisation afin de rendre le citoyen acteur de son territoire.
Jean DJEMAD (directeur et co-fondateur de la compagnie Black, Blanc, Beur) fait partie de la commission culture du Conseil de Développement économique et social de la Communauté d’agglomération de Saint Quentin en Yvelines. La compagnie Black Blanc Beur (ou B3) est une compagnie de danseurs fondée officiellement en 1984 sur un parking de Trappes, Saint-Quentin-en-Yvelines par un médecin, Jean Djemad et une chorégraphe, Christine Coudun. Par son seul nom, le groupe affirme une volonté de mixité sociale et culturelle. Jean Djemad en mission d’étude sur la Ville nouvelle, s’associe à une historienne et danseuse, spécialiste de l’Islam et de l’Afrique noire. Soutenus par les décideurs, ils permettent de contribuer à la fabrication d’un élément constitutif, d’un lien social, d’une histoire à partager au delà des identités ethniques, dans une ville nouvelle. Cette dernière ayant poussé comme un champignon, il lui manquait une âme et la culture pouvait contribuer à faire émerger celle-ci.
Jean Djemad fait part de sa volonté à travers cette initiative de réhabiliter les rapports interpersonnels afin que personne ne préempte le débat. Tous les sujets doivent pouvoir être abordés et il faut oser la participation dans la mesure où elle peut présenter des risques et générer dans un premier temps du conflit et de la violence. Ce n’est qu’avec ce courage que la démocratie participative pourra s’ancrer dans les esprits et alimenter la démocratie représentative pour redonner du sens à l’action publique.
Méthode et témoignages
Animée par Laurence Malherbe et Christophe Assens avec Sophie Largeau, Conseil général du Val de Marne ; Paul Cloutour , Nantes Métropole ; Michel Hervé, Groupe Hervé et Armel Le Coz , Mouvement Démocratie Ouverte.
Sophie LARGEAU, chef de projet démocratie participative au Conseil Départemental du Val de Marne a fait partager à la salle la dynamique du dialogue citoyen et apporté des éclairages méthodologiques. Pour bien dialoguer, il faut éviter d’être en posture de plaidoirie et d’écoute passive. Le dialogue avec les citoyens est un processus qui présente quelques écueils.
- L’absence d’identification du « pourquoi ? ». Raisonner par injonctions ne nourrit pas l’interface avec le public.
- La démocratie participative fait peur : elle peut déclencher des émotions qu’il sera difficile de réguler et cela questionne le « pouvoir ».
- Il ne faut pas confondre communication et concertation. Trop de réunions publiques sont une simple caution de décisions préalablement prises.
- Mobiliser les intelligences collectives est un acte rare.
Il ne s’agit en rien d’une démocratie d’opinion et de juxtaposer des points de vues. Il importe de mobiliser les capacités créatives du collectif. La définition de l’intention est essentielle. Et pour que le débat ait un sens, il faut que les questions soumises aient du « goût », suscitent l’imaginaire, soient motivantes pour les citoyens et pour le porteur de projet en interne et que la collectivité ait le pouvoir d’agir. Il est donc essentiel de mettre en œuvre un accompagnement managérial coopératif. Il convient pour cela de :
- disposer d’une information complète sur les données du problème à traiter
- de ne pas être dans le jugement et de conduire les débats sur un pied d’égalité
Le manager trouve pleinement sa légitimité dans la gouvernance de la concertation, dans l’accompagnement au changement de culture, dans la capacité à ne pas être dans le jugement, d’accueillir avec bienveillance les points de vue par du « oui/et » ! et non par du « oui/mais ». Les techniques d’animation créatives sont requises et peuvent conduire à construire des désaccords. A ne pas négliger : l’après concertation. Il convient de restituer la parole, d’avoir un avis citoyen formalisé, y compris pour les équipes à l’interne, avec un soin particulier à apporter sur le retour aux citoyens des décisions prises.
Paul CLOUTOUR a fait part de son expérience en tant que manager du débat public et directeur de la mission « dialogue citoyen » de 2008 à 2014 à Nantes Métropole. Il a notamment présenté le dispositif d’accompagnement interne à l’organisation locale. Il a rappelé que la conduite des débats ne relève pas d’une attitude « kamikaze », mais bien plutôt d’une intention politique d’œuvrer de manière active dans le sens de l’intérêt général. La révision du plan de déplacement urbain, le projet « plan climat » ont suscité le besoin d’évaluer au plus près les besoins des habitants. Les acteurs : le conseil de développement (qui s’était auto-proclamé instance citoyenne…), les associations ou groupes d’intérêt, les citoyens « profanes » tirés au sort. Le déclencheur : à l’occasion de l’enquête participative d’évaluation du plan de déplacement urbain précédent, les citoyens ont été sollicités pour savoir s’ils étaient intéressés pour faire partie d’une démarche d’évaluation des besoins pour le plan suivant. Sur le nombre de répondants positivement, un micro public de 20 personnes a été tiré au sort pour travailler pendant 3 week-ends. Le mandat qui leur a été donné était le suivant : jusqu’où êtes vous prêts à changer vos habitudes dans le cadre d’une offre de service en diminution ? Pareillement, s’agissant du plan climat, 100 ménages ont été réunis pendant 7 week-ends, avec des collaborateurs des directions concernées de Nantes Métropole, pour tester la pertinence de la prise en compte du développement durable dans les politiques publiques. Les 3 questions fondamentales soulevées à l’occasion du débat public ont été les suivantes : comment associer les directions en charge de chacune des politiques publiques ? Comment associer les citoyens ? Jusqu’où aller dans la concertation pour construire une politique et la mettre en œuvre ?
Armel le Coz est le fondateur de la plateforme « démocratie ouverte », qui regroupe des porteurs de projets, innovateurs, organisations et citoyens qui agissent pour améliorer la transparence, la participation et la coopération au sein de la société. Designer de formation, il a rappelé le contexte émergent de plateformes citoyennes, qui constitue un collectif regroupant différents acteurs de projet. Quelques plateformes sont aujourd’hui connues dans le champ politique : la « primaire.org » est aujourd’hui un outil d’expression du choix des citoyens ou militants pour désigner un candidat pilote de parti. D’autres (« parlement-et citoyens.fr ») permettent d’exprimer un avis notamment dans le cadre des débats préparatoires au vote d’un projet de loi.
L’objectif :
- faire de la pédagogie pour susciter des avis éclairés,
- désinhiber pour fluidifier la prise de parole,
- créer un nouvel espace délibératif, notamment grâce à des méthodes « agile »,
- promouvoir le travail collaboratif,
- valoriser la transversalité et éviter que le noyau TLM (Toujours Les Mêmes) mobilise l’expression citoyenne.
Armel Le Coz est aussi connu pour avoir été, d’octobre 2013 au printemps 2014,à la rencontre de 114 maires, candidats aux élections municipales de 2014, et porteurs de projets alternatifs. A l’issue, dans le livre publié à cette occasion, il affirme croire au renouveau démocratique, à l’émergence de mouvements citoyens comme réponse à la crise politique. Il est également coordonnateur du programme des Territoires Hautement Citoyens, qui s’appuie sur l’expertise des membres de la communauté de Démocratie Ouverte et qui permet à des territoires, on peut citer la Ville de Mulhouse, de disposer d’un label qui met en valeur les meilleures pratiques démocratiques d’un territoire et qui récompense l’action des collectivités engagées dans la transition citoyenne. L’enjeu est de prendre des décisions sur des données probantes. La gestion des territoires suppose une co-construction avec les usagers. L’usage du numérique modifie les rapports aux « gouvernants ». Armel Le Coz lance l’idée d’une carte citoyenne, application permettant à n’importe qui de mettre en ligne un profil de compétence, de référencer les thématiques qui constituent ses centres d’intérêt, de valoriser des actions déjà réalisées dans le milieu local le cas échéant, d’accéder à des services à la carte avec une identification du profil et un nombre de points acquis dès lors qu’une contribution à des actions d’intérêt général sera identifiée et enfin de créer une bourse aux projets. Et de rendre le territoire intelligent en faisant de tous un acteur de son développement.
Michel HERVE, est Président du groupe Hervé, créé en 1972 dans le secteur de l’énergie, de l’industrie et du numérique. Il a par ailleurs exercé de nombreux mandats électifs et a une longue expérience de la démocratie représentative. Il est également professeur à l’Université de Paris 8, administrateur de la fondation Maison des Sciences de l’Homme, membre du groupe de réflexion Fontevraud, laboratoire d’idées pour repenser l’action publique. Il prône les vertus de l’entreprise « concertative ». C’est un chef d’entreprise un peu atypique qui démontre que les organisations hiérarchiques ne répondent plus aux exigences démocratiques et qu’il faut « passer d’une démocratie représentative à une démocratie concertative, qui combine les idéaux de la démocratie procédurale, celle de l’Etat de droit, avec les réalisations concrètes de la démocratie substantielle, celle d’une communauté politique, visant au bien commun et à l’intérêt général ». Son entreprise, forte de 2850 collaborateurs, est fondée sur un principe de gouvernance qui fait du manager un catalyseur, un partenaire, un agent de cohésion et de médiation. Il fait la démonstration de la nécessaire « déconstruction du pouvoir ». Il revisite les acteurs du service public à travers une évolution naturelle des fonctions. Le « col bleu » met en œuvre une activité à caractère industriel, utilisant la machine. Le « col blanc » utilise l’ordinateur pour la production de service. Désormais le « col rouge » gère l’humain, est un entrepreneur chef de bande, stratège du futur, intuitif et à l’esprit de finesse !