Haute Fonction Publique Territoriale et Gouvernance Locale- Actes du séminaire de recherche organisé à l’Université de Nice Sophia Antipolis par la Faculté de Droit et de Sciences Politiques et le CERDACFF le 3 octobre 2014-

Jack Hebrard, administrateur territorial, maître de conférences associé, a planté le décor d’entrée de jeu : la Haute Fonction Publique existe-t-elle ? Sur le plan du droit administratif, la notion de corps, base de gestion de la carrière légitime son existence, de même que l’approche sociologique qui décrit un corps social correspondant à une fraction des élites de l’Etat. Quid de la fonction publique territoriale ? Le concept d’une haute fonction publique territoriale est plus difficile à faire émerger. Il faut puiser dans des approches pluridisciplinaires pour qualifier cette catégorie professionnelle. Corps ? Profession ? Les caractéristiques multiples des organisations territoriales ne facilitent pas l’éclairage et la réponse est sûrement dans le partage des valeurs communes, de la gestion des relations aux élus et dans les standards managériaux.

Claudine Terrazzoni, Maître de conférences en droit public, a mis en avant l’ambiguïté du statut protecteur des emplois fonctionnels de direction caractérisés par la proximité avec les « politiques ».

Stéphane Pintre, DGS de la Ville d’Antibes, Président du SNDGCT, milite pour une reconnaissance statutaire de la fonction, le législateur n’ayant prévu aucune définition complète des missions, en dehors de références ponctuelles (Loi « mobilité du 19 février 2007 et décret du 30 décembre 1987). Ces imprécisions sont particulièrement fragilisantes dans un environnement de plus en plus complexe nécessitant de reclarifier la forte dimension managériale du rôle de DGS.

Jean-Pierre Darnis, Maître de conférences, a offert l’éclairage intéressant du projet de réforme de l’administration publique italienne. Il cite la reconnaissance d’un statut spécifique aux autonomies locales en 2001 enclenchée après des décennies d’un modèle d’administration régalienne et qui fait suite à l’introduction progressive du régionalisme après-guerre. Pour autant, l’unification d’une fonction publique territoriale peine à émerger. Elle se fera sans doute à la faveur de la mise en place d’un système unifié de concours et d’une numérisation du fonctionnement de l’administration.

David Huron, Maître de Conférences, Institut d’Administration des Entreprises, a plongé au cœur du management dans les collectivités territoriales. Si le dirigeant territorial est amené à créer de la valeur publique, il est au cœur de contradictions entre un système de valeurs et des exigences de « performance » de service public dans une complexité administrative croissante.

Claude Soret-Virolle, présidente de l’ADT Inet, DGA du CIG de la Grande Couronne, a proposé une invitation au voyage pour permettre au manager de se ressourcer en puisant dans des sciences parallèles des analogies propres à prendre du recul pour enrichir les pratiques managériales, mieux se connaître et pourquoi pas, inciter à innover. Cet aller/retour entre nos pratiques et la découverte de concepts annexes s’est structuré autour de la gestion des temps, la quête du sens, la gestion de l’aléa et les pratiques collaboratives.

Marie-Francine François, ex présidente de l’AATF et DGS de Clermont-Ferrand a tenté de décrypter le jeu d’acteurs de la gouvernance territoriale en passant en revue le binôme élu/dirigeant, l’équipe de direction générale, le cabinet, les organisations syndicales. Le projet d’administration repose sur un équilibre subtile des forces en présence, fondé le plus souvent sur un compromis et la qualité de dirigeant tour à tour « ancré » dans son environnement, pionnier, partenaire, mercenaire, équilibriste, entrepreneur et focalisé, comme le décrivent très bien les élèves administrateurs de l’INET en 2013 dans une étude sur les dirigeants territoriaux.

Bernard Asso, Professeur de droit public, adjoint au Maire de Nice, conseiller communautaire, avocat au barreau de Nice, a mis en avant la notion de responsabilité du dirigeant comme co-producteur de l’action publique locale, illustrant ainsi la politisation de la haute fonction publique territoriale.

Bertrand Gasiglia, conseiller du Président du CG 06, Avocat au barreau de Nice, a tenté de répondre à la question : les membres du cabinet sont-ils des hauts fonctionnaires comme les autres ? Peu de travaux permettent de faire un état des lieux de ce type de collaborateur du fait sans doute de la jeunesse de ce statut juridiquement moins favorable que celui des membres de l’administration, entaché d’une précarité certaine. Pour autant, le collaborateur de cabinet , au-delà d’une approche juridique nécessairement réductrice, bénéficie de certaines souplesse du mode de recrutement et se caractérise par une relation personnelle forte à l’élu, avec un engagement politique.

Françoise Canipel, Directrice régionale de CNFPT, a mis en avant le rôle de l’INET, qui a pour vocation la formation initiale et continue des cadres supérieurs A+ de la fonction publique territoriale et présenté l’esprit du projet INET 2020 fondé sur des valeurs de développement local, durable et participatif et soucieux d’adapter le cursus aux exigences nouvelles des collectivités.

Denys Pouillard, Professeur à l’ENS et l’IEP, Directeur de l’Observatoire de la vie politique et parlementaire, a observé l’importante permutation des cadres de décision territoriaux au lendemain d’élections locales, l’insuffisante représentation des femmes aux postes de direction et les éventuels conflits déontologiques liés à la formation de couples de fonctionnaires territoriaux, de couples mixtes fonctionnaires/élus et de hauts fonctionnaires attirés par les fonctions électives, sans compter la confusion des rôles entre les postes de cabinet des exécutifs et les directions administratives. Il a relevé également l’absence de reconnaissance des postes de direction générale par les citoyens. Reste à imaginer les nouveaux modes de gouvernance qui émergeront des réformes en cours : suppression de postes de direction générale, arrivée d’élus locaux issus du non cumul des mandats…Les valeurs d’intérêt général guideront la nécessaire adaptation de la fonction publique territoriale dont la flexibilité est une marque de fabrique.

Xavier Latour, professeur de droit public, aux côtés de Christian Vallar, doyen, a fait la synthèse des débats en rappelant les tiraillements d’une haute fonction publique difficile à définir : équilibre précaire entre la fonction et la carrière, avec un seuil difficile à caler entre le statut et la contractualisation ; une posture oscillante entre neutralité et politisation avec une limite opaque entre politisation et loyalisme, au sein d’une chaîne hiérarchique courte.

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