Dans une interview parue dans La Tribune le 19 mars 2015, la sociologue Dominique MEDA, enquêtrice de longue date sur la place du travail dans nos sociétés n’y va pas par quatre chemin : si la question du travail, comme lieu de réalisation et d’épanouissement des individus dans la société, n’est pas l’objet d’une appropriation par les managers, le risque est grand de laisser ces débats entre les mains d’idéologies extrémistes.
Alors que nos organisations sont l’objet de profondes réformes institutionnelles, de remises en cause, de tensions, voire de risques de disparition pour certaines d’entre elles, il est certain que la question du travail, de son sens, de la manière dont il est vécu par les agents, va jouer un rôle fondamental dans la capacité des collectivités territoriales à se transformer.
Le chemin à parcourir sera long, tant les pratiques gestionnaires qui se sont développées ces 30 dernières années, avec leurs corollaires, d’indicateurs, de process, de reporting ont éloigné les managers de la réalité du travail, tel qu’il est vécu au quotidien. Bien au contraire, ces démarches gestionnaires fondées sur la performance individuelle sont porteuses de conflits éthiques sur le travail.
Comment pouvons nous prétendre transformer nos organisations, comme nous y invite la marche, forcée ou pas, vers une mutualisation des services au niveau des territoires, si nous ne sommes pas en mesure de décrire précisément ce que font nos collaborateurs, comment ils le font et ce que signifie pour eux, le sens de leur travail, d’autant plus qu’il répond à des finalités de service public et d’utilité sociale.
Les travaux de Dominique MEDA portent sur les questions de la reconnaissance au travail qui ne doit pas être qu’individuelle, mais qui doit aussi valoriser les collectifs, qui suppose un sens, une visibilité de la contribution, mais pas seulement, il faut aussi que les managers la reconnaissent ! et c’est tout l’enjeu des métiers de managers de proximité, qui doivent retrouver leur place au centre des collectifs.
La sociologue alerte également sur un système managérial qui crée des injonctions paradoxales, on invite les individus à faire preuve d’autonomie, de créativité de sens de l’initiative et dans le même temps, on contrôle, on multiplie procédures et reporting, qui aboutissent à une bureaucratisation de l’activité et finalement à une perte totale
de sens.
Le secteur public local n’échappe pas à ce constat et il est certain que si nous ne revoyons pas nos pratiques managériales, si nous ne parvenons pas à comprendre et à nous approprier ce qui fait sens pour les agents quand ils arrivent chaque matin au travail, nous ne serons pas en mesure de mener les chantiers de transformations des collectivités territoriales, mais nous risquons au contraire de détériorer la performance du service public, qui ne disposera plus ni des moyens financiers, ni des moyens humains pour répondre aux besoins sociaux de la population.
Les recherches de Dominique MEDA permettent de mieux comprendre les ressorts de la motivation des individus, à travers notamment les signes de reconnaissance non monétaires, qui rappellent les résultats de l‘étude de l’Observatoire social de la MNT sur la reconnaissance non monétaire.
Toujours sur les questions de reconnaissance, les études menées par Dominique MEDA montrent quelques invariants dans l’engagement au travail : le non respect des règles élémentaires de civilité, de la mise en danger de la sécurité physique ou mentale, l’invisibilité de la contribution parce que la tâche est inutile ou jugée telle…
Dominique MEDA prône également l’affirmation d’un dialogue organisé et co-déterminé entre les parties prenantes de l’entreprise, pour discuter du travail, de ses conditions d’exercice, de ce qui va et ne va pas, des échanges d’égaux à égaux. C’est comme cela que nous parviendrons à restaurer les conditions de rapports de confiance au sein des organisations, qu’elles soient publiques ou privés, car le désengagement au travail est aussi une réalité dans les collectivités territoriales !
Face aux enjeux de transformations qui sont déjà là dans nos collectivités, qu’il s’agisse de l’adaptation des compétences aux évolutions ultra rapides des métiers, de l’individualisation des parcours professionnels, de leur diversité au cours d’une même carrière, de l’arrivée dans le monde du travail de la génération du numérique, de la nécessité aussi de revoir les conditions de travail pour permettre une articulation des temps de vie, il devient impérieux de faire de la question du travail, une question centrale au sein des collectivités territoriales, de leurs équipes de Directions Générales, de tout l’encadrement et aussi des partenaires sociaux.
Les travaux de Dominique MEDA, nous y invite, je vous invite à les découvrir !