Notre collègue Romain le Borgne, Directeur des Finances et de l’analyse de gestion à la Ville du Blanc Mesnil, nous livre son regard de manager en décryptant les maillons de la chaîne comptable.
La chaîne comptable, clé managériale à ne pas laisser rouiller
Parler chaîne comptable au sein d’une collectivité, c’est a priori parler qualité du sésame avec un boulanger. Bien souvent, on y voit l’huile alimentant des rouages déjà établis, sans portée significative sur les procédures et le management de la structure.
Pourtant, sa définition et son fonctionnement traduisent des choix managériaux forts, qui interrogent le partage et le contenu des responsabilités. Ceci se traduit par des étapes de la chaîne à baliser (1), pour retenir un mode managérial adapté à la collectivité et à ses acteurs (2).
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Des étapes de la chaîne comptable à baliser
Pour les recettes, les trois temps forts que sont la constatation de la recette, sa création et l’émission du (des) titres correspondants sont généralement partagés de façon claire entre le service opérationnel (constatation de la recette lors de l’activité conduite puis création de la recette par les agents opérationnels ou administratifs du service concerné) et la direction des finances (émission du titre). Il peut s’entendre que la création de la recette revienne à la direction des finances pour des services de peu d’agents et/ou de peu de recettes, mais ce modus operandi reste marginal.
Comme en sport, la difficulté réside bien souvent dans la (di)gestion du titre. Le suivi des impayés est ensuite délicat à partager entre le service opérationnel, au plus prêt de l’activité et des usagers redevables, et la direction des finances qui est en mesure de suivre au plus juste l’évolution des recettes à recouvrer, en partenariat avec le comptable public. Cette étape est loin d’être négligeable, sa prise en compte assurant l’équité entre usagers et l’efficacité réelle et supposée du service ; une procédure volontariste en la matière – qui associe le comptable par l’autorisation de poursuite – assure ensuite d’elle-même la diminution de son importance.
Les chaînes comptables de la dépense souffrent d’appréciations beaucoup plus diverses, fruits du contexte et des traditions. Tant pour la phase de la commande que pour le traitement de la dépense.
Qui commande ? On comprend dès lors que la diversité des modes de distribution dans les chaînes de visas et de signatures des bons de commandes. La confiance comme les traditions jouent un rôle prépondérant dans les circuits de parapheurs, et force est de constater des circuits très variables d’une collectivité à l’autre, voire au sein d’une même collectivité. L’existence de délégations de signatures (aux membres de l’exécutif et aux cadres de l’administration) est un indicateur significatif de la concentration de la décision de commande. Au-delà, elle questionne le niveau de confiance et de partage de la décision entre pôles politique et administratif, et au sein de chacun.
La gestion de la facture suscite moins de remous mais n’en demeure pas moins sujette à fluctuations dans les circuits administratifs. La taille de la collectivité est un élément déterminant pour des attributions aussi significatives que l’enregistrement comptable et le mandatement de la facture (centralisés ou non au niveau de la direction des finances). Pour les étapes que sont la certification du service fait et la liquidation, c’est une question de conception de l’organisation administrative. Le traitement de la certification du service fait (un ou plusieurs visas) traduit des circuits internes qui peuvent varier très fortement, en fonction de l’association ou non de la direction générale et du statut accordé dans la chaîne à l’agent opérationnel ayant effectivement suivi la dépense. La liquidation – rapprochement entre la facture et le bon de commande – peut s’avérer complexe, notamment dans le cadre de l’intégration au patrimoine des dépenses de la ville. Une direction « achats » ou « finances » centralisant cette fonction traduit une centralisation forte de la fonction finances. A l’inverse, son attribution au service opérationnel correspond à une vision déconcentrée… avec comme corollaire une diffusion des compétences. Quant à la signature des bordereaux, il s’agit davantage d’un choix quant au portage de la responsabilité juridique, dimension renforcée par le processus de dématérialisation de la chaîne comptable.
Derrière ces diversités, on peut lire en filigramme des conceptions managériales différentes, qui oscillent autour des variables que sont la répartition du risque juridique, la recherche d’efficacité et la traçabilité des commandes suivant les différents niveaux hiérarchiques.
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La recherche du mode managérial adapté à la collectivité
La répartition du risque juridique dépend des éventuelles délégations de signature. Leur existence est le corollaire de la décentralisation de la fonction comptable.
Il faut cependant faire la différence entre signature à valeur juridique probante et signature à vocation de contrôle interne. Si la première est effectivement un endossement du risque juridique, la seconde permet davantage une traçabilité de l’activité administrative. Elle n’est cependant pas à négliger dans sa portée symbolique. Ainsi, le visa acquiert une portée essentielle, tant pour les commandes que pour les factures. La chaîne de visa traduit la place accordée à chacun des acteurs, depuis l’agent comptable jusqu’au poste de direction générale.
La recherche d’efficacité peut conduire à des étapes raccourcies. Pour la commande, ceci se traduit par une délégation de signature entendue de façon extensive ou des circuits de validation allégé. Le lieu d’établissement du bon de commande (au sein même du service demandeur ou par un service ressources) est lui un indicateur du degré de partage de la fonction comptable au sein des services, mais à double tranchant : si la déconcentration de cette fonction permet un partage de ces missions comptables et une proximité activité – comptabilité gage d’une certaine efficacité, un tel dispositif n’en demeure pas moins à accompagner avec davantage d’acuité. Les fonctions ressources doivent alors s’affirmer comme les garants du cadre réglementaire (posé par les textes, éventuellement en interne) et de la diffusion des bonnes pratiques au sein des services. Ce positionnement des fonctions ressources sur de l’animation comptable ne va pas de soi ; bien souvent, les directions des finances sont composées d’agents comptables habitués à la pratique du mandatement ou de l’édition de bons de commandes, mais sans réelle expérience sur l’accompagnement de l’exécution comptable des services opérationnels. Ce sont ces services ressources qui connaissent l’enjeu managérial le plus délicat.
Pour la gestion de la facture, la variété est généralement de mise. Elle dépend principalement du degré d’implication des cadres supérieurs et/ou de la confiance à l’égard de leurs subordonnés. L’efficacité plaide pour un circuit court, avec une validation du service fait pouvant donner lieu rapidement à un mandatement par la direction des finances. Cependant, ceci ne peut que se conjuguer par une association à cette procédure du niveau le plus pertinent. A mon sens, le montant de la dépense est un indicateur adapté pour différencier les circuits de validation, et responsabiliser les managers de premier niveau voire les agents opérationnels sur leurs missions comptables.
La chaîne comptable d’une collectivité propose ainsi une cartographie de la répartition des rôles et des responsabilités. La production d’une chaîne comptable unifiée me semble alors essentielle pour faire émerger une culture de gestion commune. Et ce, qu’elle soit plutôt centralisée ou davantage décentralisée, suivant un continuum aux degrés infinis. Dans un contexte de mutation organisationnelle et humaine de la collectivité, la première option peut apparaître comme une garantie de respect du cadre règlementaire. La seconde tendance est l’apanage des collectivités importantes et / ou matures dans leurs process, car elle est plus exigeante en terme d’accompagnement par les fonctions ressources. Mais sans doute le gage d’un partage des exigences comptables et budgétaires plus que bienvenu dans un contexte de plus en plus contraint.
Romain Le Borgne
Administrateur Territorial (promotion Salvador Allende)
Directeur des Finances et de l’Analyse de Gestion
Ville du Blanc Mesnil