Fabrice GENDRE, Directeur Général Adjoint de la Ville de Plaisir (78), membre actif de l’ADT INET et de son conseil d’administration, nous livre ses réflexions sur le sujet.
Sudan, le dernier mâle rhinocéros blanc du Nord est mort au Kenia le 20 mars dernier. La disparition de Sudan est synonyme de l’extinction de sa sous-espèce. Et Carole, jeune diplômée d’une grande école de commerce est victime d’un burn-out à Hong-Kong dans une grande banque, pour son premier poste. Quel lien entre ces deux faits divers ? Quelles responsabilités sont engagées ? Ces deux situations auraient-elles pu être évitées ? C’est en tout cas l’ambition dans laquelle s’inscrit le concept de « responsabilité sociétale des entreprises ».
Après les agendas 21, la norme ISO 26000 débarque dans nos collectivités pour sanctionner les actions développées par les organisations valeureuses et engagées dans la démarche de « responsabilité sociétale des entreprises », autrement dit la RSE. Pour adapter la notion au-delà des organisations entrepreneuriales, et notamment aux acteurs publics, l’appellation mue au profit de « responsabilité sociétale des organisations », la RSO.
Un référentiel plus qu’une norme
La RSE correspond à une démarche volontaire progressive, dans le cadre proposé par l’ISO 26000 et consiste en la contribution des organisations au développement durable. Dans ces lignes directrices, l’ISO donne la définition de la RSE suivante : « la responsabilité d’une organisation vis-à-vis des impacts de ses décisions et activités sur la société et sur l’environnement , se traduisant par un comportement éthique et transparent qui – contribue au développement durable , y compris à la santé et au bien-être de la société ;- prend en compte les attentes des parties prenantes ;- respecte les lois en vigueur et qui est en accord avec les normes internationales de comportement ; et qui est intégré dans l’ensemble de l’organisation et mis en œuvre dans ses relations ».
Le référentiel ISO 26000 n’est ni une règle stricte ni une base de certification, mais simplement un recueil de lignes directrices et de bonnes pratiques. Elles s’organisent en 36 domaines d’action articulés autour de 7 axes principaux.
Une installation récente et tardive dans le paysage institutionnel, mais qui témoigne d’un mouvement de fond
L’idée que les entreprises doivent faire de la RSE, doivent être responsables, prend ses racines dans les travaux de certains managers américains dans les années 1950. Ils défendent l’idée que si les entreprises ne se concentrent plus uniquement sur leurs profits mais aussi sur l’impact qu’elles ont sur la société, elles en tireront bénéfice. Howard Bowen publie en 1953 un ouvrage intitulé « La responsabilité sociale du businessman » dans lequel il explique pourquoi les entreprises ont intérêt à être plus responsable et donne la première définition « reconnue » de la RSE.
L’enjeu de la RSE ne s’est jamais éteint, au contraire, il se renforce ces dernières années, de manière prononcée depuis la crise économique de 2008. En France, une plateforme RSE a été installée par le Premier ministre au sein de France Stratégie en juin 2013. Cette plateforme nationale d’actions globales pour la responsabilité sociétale des entreprises, « émet des avis sur les questions qui lui sont soumises et formule des recommandations sur les questions sociales, environnementales et de gouvernance soulevées par la responsabilité sociétale des entreprises » (article 5 du décret n° 2013-333 du 22 avril 2013 modifié). Cette instance de réflexion institutionnelle semble peiner à trouver sa place et ses travaux à se décliner de manière opérationnelle au sein des entreprises.
La thématique de la RSE s’est invitée dans l’agenda du gouvernement dans le cadre du projet de loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) présenté en conseil des Ministres le 18 avril dernier. Le travail préparatoire de cette loi s’articule autour de 5 thèmes, dont l’un est intitulé « Partage de valeurs et engagement sociétal des entreprises » et est porté par Stanislas GUERINI, député la REM, et Agnès Touraine, présidente de l’Institut Français des Administrateurs.
Du club Rodin au Livradois-Forez
La France est en retard sur le sujet. Il faut compter sur certains Think Tank comme le club Rodin, lié aux industries de l’électronique, pour comprendre les enjeux de la RSO dans l’environnement sociétal. L’action militante et pédagogue de ce club, animé par Bernard Bismuth et secondé par l’expert Gérard Capelli, a publié un ouvrage « Réinventer nos PME : le rôle essentiel de la RSE », révélateur dans son approche de la prise de conscience nécessaire pour l’ensemble des organisations présentes sur le territoire français. Cette démarche doit être soutenue par les pouvoirs politiques et les collectivités territoriales à l’heure de la multiplication des colloques et des avancées technologiques liées au développement des villes intelligentes.
Au-delà des cercles de pensées et de conception existent des espaces opérationnels d’exercice de la RSO. Le Parc Naturel Régional du Livradois-Forez en est un exemple singulier. L’établissement public est à l’initiative d’un programme original (DERSELF) visant à fédérer l’ensemble des entreprises implantées sur son territoire autour des bonnes pratiques en termes de RSO. Un diagnostic local a été co-élaboré avec les entreprises locales. Ce dernier reposait notamment sur un questionnaire d’autoévaluation conçu en phase avec la norme ISO 26000 et le tissu économique local. C’est une déclinaison d’un outil national – Diag 26000 – qui permet des comparaisons avec les entreprises à l’échelle française. L’autodiagnostic a été proposé aux 359 entreprises du Livradois-Forez comptant 6 salariés et plus ; 79 ont répondu. Ce recueil de la perception des chefs d’entreprise sur la responsabilité sociétale de leur organisation a permis d’affiner l’état des lieux des pratiques RSE en Livradois Forez. Une stratégie de développement de la RSE (RSO) a donc été dessinée, coproduite avec les acteurs économiques volontaires et organisée en un « arbre d’objectifs ». Chaque entreprise partie prenante du programme est présentée à travers une fiche « profil », valorisant ses actions en lien avec la RSO.
Malheureusement, Etienne CLAIR, en charge du projet précise que l’élan de départ s’est essoufflé, faute de financement, mais aussi en raison de la difficulté à mobiliser les entreprises au-delà d’un cercle de dirigeants militants. L’approche globale et stratégique de la RSE n’est pas toujours facile à expliquer à des dirigeants contraints par les questions de court terme et accaparés par la gestion quotidienne de leur entreprise. Essayer de couvrir l’ensemble des problématiques de la RSE relève de travaux herculéens. Le Parc a donné suite aux premiers travaux en accompagnant une étude de l’IRSTEA, intéressée par la démarche et ses résultats. L’IRSTEA a ainsi rencontré un panel d’entreprises ne s’étant pas engagées dans le processus au départ, et les acteurs engagés dans le programme. L’objectif est de comprendre les réticences et les motivations des uns et des autres. Les premiers résultats de l’étude à paraître (Jean Bernard Marsat, Ingénieur Chercheur IRSTEA/UMR Territoires) laissent entrevoir des conclusions intéressantes. Les entreprises focalisent leur attention sur l’aspect économique de l’entreprise (se développer et/ou survivre), et seulement ensuite sur leur impact sur l’environnement. Il existe donc une hiérarchisation légitime des acteurs dans leurs préoccupations, et la RSE n’est pas au premier rang. La seconde conclusion révèle que le spectre de la RSE est trop large, et qu’il convient de cibler les thématiques et les champs d’action. Pour le territoire rural et excentré du parc, avec un bassin d’emploi fragile, la thématique qui semblent retenir le plus d’attention chez les acteurs économiques est celle ayant trait aux conditions de travail. Les entrepreneurs ont pris conscience que ces dernières représentaient un levier d’action important pour l’attractivité des métiers sur un territoire rural. Ce sera sans aucun doute le prochain chantier du parc et de ses partenaires.
Un enjeu majeur à l’ère du Big-Data
L’ancien maire de Denver disait que «le XIXe siècle fut celui des empires, le XXe celui des Etats-Nations, le XXIe sera celui des villes ». Le sens de l’histoire semble lui donner raison, tant les territoires urbains occupent aujourd’hui l’espace économique, politique et technologique. Certains parlent de métropolisation et de France périphérique, d’autres de pôles de compétitivité et de ville monde. 75% de la population mondiale vivra dans ces territoires urbains et connectés d’ici 2050. La ville numérique, la ville intelligente, la Smart-city, avec l’ouverture des données soulèvent de nombreuses questions liées à la numérisation des territoires. Du compteur Linky au capteurs de sol positionnés sur les parkings, les caméras intelligentes, la relation numérique des services publics avec les administrés, cette numérisation des territoires et des services publics recèlent certainement autant d’opportunités que de risques.
Pour cela, il convient de dépasser le seule performance technique. Au-delà des outils et des innovations technologiques, les décideurs et managers locaux doivent se saisir des données numériques pour comprendre l’organisation du territoire et bassin de vie, et ainsi améliorer la gestion des écosystèmes sociaux, environnementaux et économiques, dans une démarche de RSE.
Préservation de l’environnement et des ressources
L’exploitation des données numériques permet par exemple une analyse des flux et des trafics routiers, autoroutiers, ferroviaires pour mieux les décongestionner par la création de nouveaux réseaux ou l’encouragement de mobilités alternatives. Ainsi, la Métropole Européenne de Lille récupère les données du service Waze et Google pour être capable de mobiliser des services d’urgence ou l’intervention de la police en temps réels si besoin. Mais ces données d’encombrement doivent également permettre d’identifier les zones nécessitant une action publique de lutte contre la pollution.
La ville de Toulouse a quant à elle choisi de lancer un projet de récolte des données des stations météo avec le Centre National des Recherches Météorologiques. Grâce à ces données, la ville est à même d’identifier les zones de « surchauffe » et les zones plus fraîches qui existent naturellement, en fonction de la végétation, de la densité ou de la présence de points d’eau. Un écart de 5 degrés a été mesuré en été entre les quartiers très urbanisés situés en hypercentre et les quartiers excentrés plutôt végétalisés. Dès lors, l’exploitation de ces données préfigure les orientations à venir en termes d’aménagement urbain, comme la prévision de surfaces vertes plus nombreuses dans ses futurs plans d’agencement du territoire.
Les données disponibles peuvent également servir par exemple à la surveillance des canalisations (réparations des fuites, déperdition de performances dans certaines zones du territoire, dans l’enfouissement des réseaux…). Ces données sont pour la plupart du temps gérées par des entités extérieures : opérateurs de transport exploitants de l’eau ou de l’énergie, de développeurs de solutions numériques.
Deux acteurs de l’eau, Birdz et Smarteo Water, ont déjà entrepris de partager auprès des collectivités et des exploitants de l’eau les données qu’ils récoltent via leurs sondes et compteurs connectés. Installés sur les canalisations, ces capteurs fournissent des indicateurs qui, croisés à des données environnementales et des algorithmes, permettent de contrôler la qualité de l’eau et d’identifier les tuyaux à remplacer en priorité.
La place centrale des managers
L’ancrage de la RSE dans le paysage institutionnel et législatif, provoque une disruption managériale. Le champ d’action proposé est large, et les opportunités adossées à l’exploitation des données sont enthousiasmantes. Il permet aux dirigeants politiques de se saisir de la RSE à la fois comme fondement des politiques publiques conduites sur un territoire (cadre structurant) et comme finalités, objectifs à atteindre. Cela demande au management une nouvelle approche, un accompagnement de l’organisation et de nouvelles pratiques de l’évaluation des politiques publiques locales, dépassant le sacrosaint impact financier. Cette évaluation enrichie des algorithmes et de tableaux de bord liés au Big-Data, posera de manière plus probante la question de la protection des données personnelles et de la vie privée des administrés. Elle demande également une ouverture (et une vigilance) dans la gouvernance et la propriété des données d’un territoire, avec une contractualisation entre collectivités et opérateurs privés ou publics.
Mais l’enjeu principal, au-delà de l’exploitation des données, des nouvelles approches dans la conception et l’évaluation des politiques publiques, réside certainement ailleurs. La RSE, dans son approche globalisante et centrée sur l’intérêt de la planète et des individus, sert l’intérêt général, qu’il se décline au niveau local ou mondial, dans les organisations publiques ou privées. C’est donc bien de l’intérêt général dont il s’agit, dont l’apanage ne sera plus exclusivement public. De nouveaux modèles de conception de politiques publiques sont donc à imaginer rapidement, bien au-delà des contrats classiques de partenariats publics-privés. Les acteurs politiques seront invités à partager avec les acteurs économiques privés la connaissance intrinsèque « objectivé » d’un territoire, à force de données numériques, et l’opportunité d’actions à mener sur ce dernier.
La clef de voûte de ce nouvel édifice de l’intérêt général restera le management. De nouveaux chantiers se présentent à nous en termes de méthode, de formation, d’accompagnement de nos élus et des agents publics. L’ADT-INET travaille actuellement à l’organisation d’un futur symposium en 2019 sur la thématique de la RSO avec l’Institut Supérieur de Management de l’Université de Versailles-Saint-Quentin en Yvelines. A suivre!
Fabrice GENDRE
www.parc-livradois-forez.org/inventer/entreprises/rse/
https://www.clubrodin.fr/2018/01/30/presentation-du-livre-rse-a-la-fieec/
http://www.strategie.gouv.fr/chantiers/plateforme-rse