Dans un monde digitalisé, marqué par un discours sur l’ubérisation croissante d’un certain nombre de domaines de l’activité humaine, comment les cadres dirigeants des collectivités territoriales, en charge des ressources humaines, peuvent-ils ou doivent-ils faire évoluer leurs missions pour s’adapter à ces transformations ?
Voici résumé le fil conducteur des débats du dernier colloque de l’Association Nationale des DRH des Grandes Collectivités, qui s’est tenu le 06 octobre, dans le grand Auditorium du Monde à Paris.
Réunis autour du Président de l’association Johan THEURET, qui vient de rejoindre la Ville et la Métropole de Rennes en qualité de DAGS du Pôle Ressources, des personnalités issues des collectivités territoriales bien sûr, mais également des dirigeants de groupes du secteur privé, venus apporter leur éclairage aux mutations des organisations du travail, mais également des startups qui accompagnent les DRH dans leur stratégie d’adaptation au monde du digital.
En effet, comme l’a dit en introduction Anne GRILLON en charge de l’organisation de cette journée, la fonction RH et les DRH des collectivités territoriales sont face à un choix crucial : soit s’emparer de la dimension stratégique des ressources humaines pour faire évoluer les organisations aux côtés de la Direction Générale, soit rester une instance en charge du dialogue social et de la fonction administrative de la gestion des ressources humaines.
Qu’est-ce qui pourrait faire que la fonction des DRH deviennent stratégique au sein des collectivités ?
Pour y répondre, Françoise GRI, Consultante auprès de dirigeants de grands groupe privé et ancienne Présidente de Manpower, est venue apporter un éclairage passionnant sur les enjeux du digital dans les évolutions des missions des ressources humaines, pas dans 20 ans, mais dans 4 ou 5 ans, car la vitesse dans les évolutions des compétences attendues s’est accélérée, 87% des métiers dans quelques années seront directement impactés par le digital, ce qui nécessite de nouveaux apprentissages.
Françoise GRI rappelle que le digital n’est pas un sujet technologique, ouvrant un choix de ne pas y recourir ou de l’ignorer, c’est une adaptation à de nouveaux usages et en cela il impose de s’y intéresser comme objet à part entière.
Mais le digital impose aussi de réapprendre le sens des missions au travail, c’est un changement de culture, de façon de travailler ensemble, de coopérer, de prendre des décisions dans des temps plus courts.
Pour cela il faut armer les collaborateurs et c’est toute l’organisation qui doit se mettre « au tempo » de l’usager, la direction et le sens étant donné, les collaborateurs doivent trouver ensemble et seuls les solutions, ce qui va créer des tensions et nécessiter de manager avec bienveillance, autrement les risques de tensions négatives seront trop forts.
Un des outils au service des DRH serait par exemple l’instauration d’une « conversation managériale », qui permet de redonner du sens et d’expliquer encore et encore.
La question in fine est de savoir si seuls le CODIR seraient en charge de ces transformations, ou si les DRH peuvent ou doivent être partie prenante des décisions stratégiques. La réponse de Françoise GRI privilégie la 2ème option et de conclure son intervention sur la relation entre l’humain et le robot, le premier devant apprendre à résister et à forcer la conversation managériale pour sortir par exemple des effets de communauté créés par le digital.
Dans une 2ème intervention, Catherine MIEG, Consultante, psychanalyste et intervenante pendant de nombreuses années à l’INET sur les cycles du bilan managérial est venue apporter son éclairage de clinicienne sur le lien entre l’individu et le travail réel, en rappelant que ce dernier est bien un étayage de l’individu en terme de santé mentale.
Le principal enjeu du travail de demain pour Catherine MIEG, c’est l’écart entre le travail prescrit et le travail réel et la manière avec laquelle l’agent va investir cet écart.
Pour illustrer cette table ronde sur les nouvelles formes d’organisation du travail, deux retours d’expérience, celui de la Ville d’Annemasse, au travers du témoignage de Aissia KERKOUB, DGAS, sur les évolutions du modèle de management de la commune s’inspirant du modèle de l’entreprise libérée.
Le témoignage d’Aissia KERKOUB montre qu’il est possible dans des organisations hiérarchiques, de mener des projets responsabilisant, impliquant à la fois l’équipe dirigeante, les élus plutôt bienveillant et toute l’organisation jusqu’à la base, avec tout de même un écueil, l’absence de la DRH dans la conduite de ce projet.
L’autre témoignage est issu du secteur privé, il s’agit de l’Entreprise MICHELIN, dont le Directeur des relations sociales, Bertrand BALLARIN est venu présenter les évolutions de ce grand groupe industriel, entreprise de main d’œuvre, qui expérimente à l’échelle de quelques usines, un mode de management et d’organisation qui vise à redonner de l’initiative et de l’autonomie aux ouvrier.
Bertrand BALLARIN rappelle que le développement du Groupe Michelin avait conduit à une mise sous contrôle de l’organisation du travail, à une complexification des opérations de fabrication, sur le modèle toyotiste, qui s’est traduit in fine par une déresponsabilisation des agents de production et à la privation des derniers espaces de liberté dont les ouvriers disposaient.
Seule solution pour réengager les salariés, inverser la tendance, inventer une nouvelle façon de travailler, à travers l’auto direction, la recherche de solutions par les salariées eux-mêmes, en reposant la question de la place du management et notamment des managers intermédiaires.
Les points abordés par cette table ronde sont très importants, ils portent sur :
– le principe de subsidiarité dans le travail
– la question du rapport au pouvoir : la relation managériale est une relation de pouvoir, c’est l’éthique qui permet de revisiter le rapport au pouvoir des managers, pour accompagner la prise de pouvoir des agents.
– la nécessité de créer des lieux de débats sur le travail au sein des organisations, qui permettent de confronter la manière avec laquelle on se débrouille avec les aléas du travail.
– la définition de la responsabilisation du collaborateur (selon Bertrand BALLARIN) : ayant compris le sens général de l’action, doté de compétences, capables de proposer la meilleure contribution et de définir par lui-même les objectifs.
– porter attention aux managers qui se sentent en danger
– question de la régulation : le problème n’est pas la règle mais d’où elle émane : faire en sorte que les échelons supérieurs de l’organisation énoncent les grands principes et qu’ensuite les échelons inférieurs fixent les règles adaptées à la réalité du travail.
Pour prendre du recul après cette table ronde passionnante, intervention d’une neuroscientifique, Luc ZIMMER, dont les propos ont porté sur l’attention que les organisations doivent porter aux effets de mode sur le management par les neurosciences, les tentatives de vulgarisation comportant des biais de simplifications qui ne correspondant pas à la réalité du fonctionnement du cerveau.
La 2ème partie de la journée a commencé avec l’intervention de Maurice THEVENET, Professeur de Management et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet, venu apporter son regard de chercheur, sur les évolutions de la fonction RH, en pointant par exemple le fait que l’une des spécificités de cette fonction est qu’elles traite de l’humain et que donc par définition, tout le monde a une opinion et une vision de ce qu’il faudrait faire.
Pour Maurice THEVENET, le rôle des DRH n’est donc pas de répondre aux attente de l’organisation, mais de s’intéresser aux conditions de l’engagement au travail, à la collaboration, au partage : la raison d’être de l’organisation, à quoi on sert, le métier, la manière avec laquelle on l’exerce, la politesse, la convivialité ; c’est tout cela le rôle des DRH.
Alors quelles seraient les conditions nécessaires à l’engagement :
– la cohérence : ce qui implique de communiquer surtout quand il n’est pas nécessaire de communiquer, quand cela ne va pas sans le dire !
– la réciprocité : le donnant/donnant. La qualité perçue des relations humaines au travail est corrélée à l’engagement des collaborateurs. Les DRH ont un rôle important à jouer dans la valorisation des relations humaines
– l’appropriation : qui implique une allocation des tâches aux bonnes personnes, un défi pour les collectivités territoriales!
Et quels seraient les rôles des DRH :
– être des interprètes et non des traducteurs automatiques, c’est-à-dire de retrouver l’intention de l’auteur dans la langue de traduction. Cela signifie que les DRH doit tours être en train d’expliquer, réexpliquer, surtout ne pas essayer de rassurer, ce qui rassure c’est ce qu’on commence à voir
– rôle de bricoleur, de l’artisan, du bidouillage, de l’ajustement permanent, faire en sorte que le système fonctionne
– rôle de régulateur des émotions, avoir le sentiment de contribuer au développement de quelqu’un sans qu’il s’en rende compte, c’est cela avoir un impact sur les autres.
La dernière partie de la journée a été consacrée à deux temps, le premier consistant en un dialogue entre les DRH du Groupe La Poste et de la Ville de Paris, le second construit autour de démonstrations de société innovantes dan le domaine du e-learning et de l’intelligence artificielle.
Le DRH du groupe La Poste a décrit les grands enjeux de l’adaptation des compétences de 75 000 facteurs, des évolutions des métiers, de l’identification des compétences à acquérir, malgré un manque de visibilité et donc de l’attention portée à la formation et aux parcours de mobilité.
Le témoignage de la Ville de Paris a porté sur les actions en faveur de la transmission des compétences pour adapter les métiers et la formation des agents aux évolutions des outils technologiques et à la robotisation de certains secteurs, tels que la propreté ou le stationnement payant.
Le défi pour la Ville de Paris qui compte 55 000 agents et qui est par exemple le premier employeur de bucherons élagueurs, il y en a 250 à Paris, c’est celui des reconversions, du fait des évolutions des besoins des usagers qui vont très vite.
Pour cela, le plan de formation est passée d’une logique de catalogue, à une logique plus prescriptive, de programme , afin de construire des parcours de formation structurés, avec la délivrance de diplômes en interne mais également de certification.
Ces deux interventions ont fait le lien avec les témoignages du représentant de la société Edufactory, qui propose des formations en e-learning, déjà déployées à la Ville de Paris, autour par exemple des jeux vidéos, qui sont des supports de formation plus adaptés que les formats présentiels habituels.
La journée s’est terminée par une incursion dans le monde de l’intelligence artificielle avec cette interrogation sur les scénarii du futur, quant aux évolutions des métiers dans les DRH, dont une partie sera automatisée (exemple avec l’assistant administratif), ouvrant le champ de nouveaux métiers, mais aussi à des adaptations des compétences, dans un temps désormais très court.
Voilà un des défis des DRH de demain !