Difficile de trouver des points communs entre 2 événements tels que le Mercredi de l’Inet intitulé « manager ou l’art de concilier contrôle et confiance » et un séminaire co organisé par le SGMAP et l’IGPDE (Institut pour la gestion et le Développement économique) avec en invité, le Professeur Marcel GAUCHET, philosophe et historien, venu débattre sur l’avenir de l’Etat.
Pourtant, il y en a plusieurs, ces 2 événements se déroulaient à Paris, à moins de 24 heures d’intervalle ! ils illustrent parfaitement l’intérêt de croiser les regards entre chercheurs et praticiens pour faire émerger de nouveaux possibles, qu’il s’agisse du management ou de la place de l’Etat dans la construction de futurs possibles de l’action publique.
Ces 2 événements ont également abordé de manière différente mais convergente, les grandes mutations que nos organisations connaissent en ce moment, dans leur fonctionnement, préfigurant sans doute de nouveaux modèles de management davantage fondés sur la confiance et dans lesquels le modèle du commandement hiérarchique est en repli.
L’INET a en effet choisi de consacrer un « Mercredi de l’INET » aux nouveaux modes de management en émergence. Pour cela, l’Etablissement a invité à débattre, des praticiens, Michel NAMURA, Directeur général des Services de MONTREUIL le Colonel MARLOT, Directeur des Services d’Incendie et de Secours de Saône et Loire et Laurence MALHERBE, Directrice des Affaires Juridiques d’Antibes ; mais également des chercheurs, Hervé CHOMIENNE enseignant chercheur au LAREQUOI (Laboratoire de recherche en management de l’Université de Versailles Saint Quentin en Yvelines), Yves RICHEZ, consultant et chercheur et Jean-Pierre BOUCHEZ, Directeur d’IDRH er chercheur également à Saint Quentin en Yvelines.
Difficile de résumer chacune des interventions, leur richesse et les perspectives qu’elles ont ouvertes sur le monde des organisations de demain, mais on peut en retirer quelques idées forces :
Le modèle rationnel légal, fondé sur une unité de commandement hiérarchique domine encore le modèle de l’entreprise gestionnaire, alors même que s’est développé le modèle de la performance censé s’y substituer, à l’ère de néo libéralisme, provoquant un renforcement du contrôle au détriment finalement de la performance, comme le démontre si bien François DUPUY dans son dernier ouvrage « la faillite de la pensée managériale ».
Il est possible aujourd’hui de passer d’un modèle rationnel légal à une organisation fondée sur la confiance, l’autonomie et la responsabilité, y compris dans les structures aussi contrôlées et réglementées que celles des services d’incendie et de secours. C’est la démonstration brillante du Colonel MARLOT qui explique que « le management c’est transformer les intentions en action », ce qui implique de raisonner à la fois dans une relation d’autonomie, de co responsabilité et de co construction ; et ça marche !
La confiance c’est aussi ce lien indicible qui se noue entre une équipe municipale élue au suffrage universel et son équipe de Direction Générale, cette relation hybride entre les élus et les agents territoriaux, c’est ce qu’explique parfaitement Michel NAMURA en fervent militant du management public territorial, comme il se décrit. Dans une situation de très fortes tensions financières, le défi managérial de demain sera de concilier le collectif et l’humain, avec un travail au niveau des équipes de Direction Générale pour faire partager à tous les agents le sens des efforts qui doivent être accomplis.
Poursuivant les débats de la journée, une brillante intervention de Yves RICHEZ qui au détour d’une mise en perspective de notre culture occidentale avec la culture chinoise qu’il a appris à connaître, nous rappelle combien nous sommes imprégnés des modèles de contrôle, qui fondent la légitimité de celui qui sait sans expérience, alors que la confiance est en revanche expérientielle. La pensée chinoise pense le réel, l’intelligence situationnelle, les biais, alors que la pensée occidentale pense les idées, radicalise la pensée, supprime les biais. Pour ce chercheur, la compétence s’observe, la confiance (« regarder la même chose ») se construit en dehors du contrôle, l’autonomie, « c’est ce qui se construit en dehors de », la confiance elle s’amorce dans l’indicible, alors que les objectifs, qui fondent les contrôles, « arrêtent la vue ». Yves RICHEZ nous rappelle que le potentiel est extrinsèque à nous, ce sont les conditions de l’environnement, alors que la talent est intrinsèque. On comprend alors toutes les difficultés d’une politique de mobilité interne, s’il n’y a pas de potentiel préalable, induisant des frustrations.
Autre chercheur à travailler sur l’émergence de nouvelles pratiques managériales, Jean-Pierre BOUCHEZ, fait un état de lieux des nouvelles formes de management dans un environnement dans lequel la société de la connaissance vient « percuter » le modèle de la bureaucratie de plus en plus inopérant ; il fait le pari de nouveaux modes de partage dans les entreprises et rappelle que les cycles managériaux sont cohérents avec les cycles du capitalisme ; l’économie du savoir s’inscrit dans l’émergence d’un nouveau cycle managérial, avec plusieurs exemples, notamment les communautés de pratique qui se développent dans les entreprises, créant des espaces de liberté pour les salariés en marge de la logique hiérarchique, dans une relation hybride.
Enfin, dernière intervention, comme un coup de grâce porté au modèle du commandement hiérarchique, la présentation d’un modèle venu des pays anglo saxons celui de « l’entreprise libérée », conceptualisé par Isaac GETZ, psychologue et professeur de management à l’ESCP Europe. Aujourd’hui, de plus en plus d’entreprises et même des administrations, exemple le Ministère belge de la sécurité sociale, n’hésitent pas, au nom de la performance économique ET des principes humanistes, à revoir complètement leur organisation, en supprimant les échelons hiérarchiques inutiles, les fonctions supports budgétivores et génératrices de souffrances au travail et en remettant à leur place l’égo et les attributs du pouvoir qui vont avec ! ; les idées sont simples et très efficaces : le contrôle est inutile car il coute plus cher que la confiance, car dans ces organisations on considère que l’Homme est bon, qu’il a besoin de reconnaissance et d’épanouissement et que le leader doit se transformer en jardinier pour faire grandir les personnes avec lesquelles il travaille. Laurence MALHERBE rappelle que ce modèle est très éloigné de celui que nous connaissons dans nos organisations, bureaucratiques et hiérarchiques, fondées sur un rapport au travail paternaliste, laissant peu d’espace à la confiance à priori, alors que cette dernière serait peut-être la solution pour redonner du sens au travail, concilier les objectifs d’efficacité de l’action publique et de bien-être au travail.
Quittons l’univers de la Territoriale pour nous retrouver dans la salle de conférence du Ministère de l’Economie et des Finances, à l’invitation de Nicolas MATYJASIK (chercheur associé à l’IGPDE, Maître de Conférence à Sciences Po Lille), et de Fabien GELEDAN (chef de projet en charge de la Recherche au SGMAP), en compagnie du Professeur Marcel GAUCHET, venu débattre avec les chercheurs de l’IGPDE et des praticiens de l’État, mais aussi des collectivités territoriales, des « futurs de l’action publique », avec cette interrogation : « l’État est-il toujours l’instance du futur » ?
A cette question le philosophe répond par l’affirmative, tout en indiquant que l’État dans le futur devra exister dans un environnement marqué par l’avènement du numérique, lui assignant un nouveau rôle, marqué par un recul inéluctable du modèle de commandement hiérarchique et la nécessité de repenser l’Etat post-moderne, dans un nouveau rapport hiérarchique entre l’État et la société civile. Pour Marcel GAUCHET, paradoxalement, la demande de plus d’État n’a jamais été aussi forte et ce paradoxe nait d’une confusion entre les missions de l’État que certains souhaiteraient réduire, ce sont les débats de la Réforme de l’État et les fonctions de l’État dans la société qui elles, augmentent, en partant du bas et de la gestion de la dimension territoriale, dans un nouveau rapport à la démocratie pas seulement participative, mais délibérative, seule en capacité de faire émerger le sens de la démocratie.
En conclusion, Marcel GAUCHET en appelle à un État producteur de connaissances.
Entre ces 2 événements, un fil conducteur le recul du modèle du commandement hiérarchique appelé à cohabiter avec des formes d’organisation différentes et plus ouvertes sur la société civile, l’intelligence des territoires et la pluralité des acteurs.
Pour prolonger les réflexions sur ces 2 événements qui à leur manière contribuent à l’émergence de nouveaux possibles managériaux, voici quelques liens :
Interview de Marcel GAUCHET dans la Gazette des Communes ICI
Documentaire diffusé sur ARTE le 24 février « le bonheur au travail » ICI
Le blog de l’Innovation Managériale (présentation du SDIS 71) ICI
Le site des Mercredi de l’INET qui met à disposition des sources documentaires ICI