C’est la question à laquelle ont tenté de répondre les intervenants présents à la Conférence co-organisée par la FING (Fondation pour l’Internet Génération), Think Tank dont le but est d’accompagner les organisations publiques ou privées, dans la réflexion autour des évolutions du Numérique. Les collectivités territoriales sont d’ailleurs représentées au sein de cet organisme.

Perdue au milieu d’une assemblée, relativement jeune et branchée, hyperconnectée, composée semble t il à la fois de recruteurs, DRH, cadres d’entreprises immergées dans les nouvelles technologies, je me suis pourtant sentie très vite en lien avec les enjeux auxquels nous sommes tous confrontés, en tant que cadre dirigeant de collectivité territoriales, que nous soyons managers d’équipes et/ou coconstructeurs des politiques publiques.

Il est en effet essentiel, dans un contexte aux mutations extrêmement rapides, de bien comprendre ce qui se joue entre la manière dont on conçoit le travail et celle avec laquelle il va évoluer du fait de la révolution numérique, que plus personne aujourd’hui ne peut ignorer, même ceux qui reconnaissent une certaine incapacité à en comprendre les enjeux !

La présentation faite par l’équipe Digiwork de la FING représentée par Aurélia JUBLIN et Amandine BRUGIERE, nous donne quelques éclairages sur l’individu au travail dans un monde numérique. On découvre ainsi qu’outre l’automatisation croissante des tâches, le rapport au travail se modifie, alliant à la fois, dans un paradoxe apparent, une plus grande individualisation, qui met en tension les liens de subordination que l’on rencontrent encore majoritairement dans les organisations et en même temps, l’apparition de communautés de travail, parfois à distance, des modèles de travail plus coopératifs.

Les frontières entre vie professionnelles et vie privées se recoupent, permettant ainsi à de plus en plus de travailleurs d’allier à la fois une activité lucrative pour certains peu épanouissante, avec d’autres activités plus coopératives, bénévoles, sous forme de micro tâches.
L’individu au travail, hyperconnecté ne se résume plus à une personne détentrice d’un savoir-faire, d’un métier, qu’il va exercer toute sa vie, de façon linéaire.

Ce constat doit amener à repenser le contenu des politiques de ressources humaines pour prendre en compte ces nouvelles réalités et poser un autre regard sur les agents au travail, leurs attentes, leurs sources de motivation, en leur permettant aussi d’expérimenter au travail ces nouvelles communautés. Tout cela redessine les lieux dans lesquels les agents travaillent, la configuration des espaces, qui doivent concilier besoin d’intimité et recherche de lieux de partage, de communauté.

Certains chercheurs sociologues, notamment Patricia VENDRAMIN, de l’Université de Louvain, n’hésitent pas à parler de « nomadisme coopératif » pour définir les travailleurs du XXIème siècle, mixant à la fois un rapport au collectif de travail, qui se traduit désormais à travers le projet, un besoin de sens et de reconnaissance et par ailleurs le développement d’une polyactivité (exemple des micro travailleurs en ligne). Patricia VENDRAMIN met en évidence un décalage entre l’organisation des entreprises qui reste très pyramidale, fondée sur des communautés de métiers, voire de filiation avec un autre réalité du travail, qui va nécessiter une redéfinition, par exemple, des rôles des organisations syndicales.

La Conférence s’est poursuivie avec de nombreuses autres interventions illustrant ces nouveaux rapports au travail, l’avènement du « self employer », de nouvelles approches en terme de design des bureaux, qui doivent tenir compte de ce nouveau rapport au travail, mais également une nouvelle façon de manager les organisations avec 2 exemples d’entreprises qui ont décidé de prendre le contre pied du mode d’organisation hiérarchique, pyramidal, fondé sur le contrôle et les procédures. La première est anglaise, dirigée par Henry STEWART, elle s’inscrit dans le mouvement des Happy Organisations, en partant du principe que l’entreprise est un lieu d’épanouissement et que c’est d’ailleurs la condition de la réussite. Il démontre qu’il peut y avoir convergence entre performance économique et bonheur au travail, dès lors qu’il existe des principes de management fondés sur la confiance, la reconnaissance , l’exemplarité, le respect.
L’autre entreprise est française, il s’agit de la biscuiterie POULT située à Montauban, dont le tout récent ex Directeur de l’Innovation, Jérôme INTROVIGNE, est venu faire partager ses convictions, son enthousiasme et sa détermination, à démontrer qu’il est possible de développer un nouveau modèle managérial, qui laisse de la place à l’autonomie, la responsabilité, la liberté des salariés, tout en conciliant des objectifs de performance économique. Mais attention, cela repose sur une recomposition du modèle d’organisation, moins de strates hiérarchique, plus de décentralisation des décisions, des salariés partie prenante jusque dans les décisions de la société. Petite anecdote, qui peut intéresser les managers publics, dans le débat sur les primes au mérite, l’entreprise POULT a fait l’inverse ! suppression des primes variables y compris pour les commerciaux, résultat une augmentation des ventes. A méditer….

A noter également dans cette journée 2 présentations très éclairantes également sur les enjeux à venir du numérique, les risques aussi sur lesquels les producteurs de l’action publique devront se pencher très vite et rester vigilants.

D’une part l’intervention de Stefana BROABENT, anthropologue qui travaille au Laboratoire d’anthropologie du Collège Universitaire de Londres, qui a mené toute une recherche sur le rapport entre les individus en situation de précarité et les nouvelles technologies, en démontrant combien certains d’entre eux ont un besoin de connexion, et en même temps dispose d’un réseau relationnel extrêmement limité.
D’autre part l’intervention très attendue semble t il dans la salle d’Antonio CASILLI sur le « Digital Labour ». Ce maître de conférence en Digital Humanities à Télécom Paris Tech fait la démonstration que l’avènement du numérique conduit à un brouillage entre les activités travaillées (l’emploi) et les autres temps de vie, durant lesquels l’individu, qui se connecte, ajoute des commentaires, rédige des articles (ce que je fais actuellement…), participe à la création d’une nouvelle richesse totalement captée par des entreprises telles que Google, sans qu’il y ait en retour de rémunération. En clair, Antonio CASILLI milite pour la création du revenu de base, une revendication considérée il y a encore quelques années comme totalement loufoque et qui commence à se diffuser au sein des milieux économiques.

Toutes ces présentations, démontrent qu’il ne faut pas considérer la Révolution Numérique comme un épine dans le pied de l’agent ou de son manager, mais au contraire comme une réelle opportunité, malgré et surtout en raison des paradoxes apparents qu’elle contient, de redéfinir la relation entre l’individu et le travail, moins hiérarchique, plus coopérative, plus responsable aussi, tout en veillant et ce doit être LA priorité des décideurs politiques, à ce qu’il n’y ait pas un accroissements des inégalités numériques et une captation de richesses encore plus grande au bénéfice de quelques uns.

Le développement des mouvements citoyens qui utilisent aujourd’hui les outils du numérique est sans doute une réponse positive, pour permettre de construire ensemble une véritable démocratie citoyenne.

Retrouvez le programme de cette journée, avec la liste des intervenants ICI

Pour en savoir plus sur les travaux de Stefana BROADBENT, c’est ICI

Pour en savoir plus, Forum Travail et Numérique