« Les fonctionnaires sont porteurs d’un capital, celui du bien commun », c’est par ces quelques mots que le Défenseur des Droits, Jacques TOUBON a clôturé les 2 jours de colloque organisé par le CNFPT en partenariat avec le site-mémorial du Camps des Milles d’Aix en Provence.

Ce colloque était une première, il s’inscrit dans le cadre d’un partenariat entre la Délégation Régionale du CNFPT PACA, dirigée par Françoise CANIPEL et la Fondation qui administration le site du Camps des Milles, présidée par Alain CHOURAQUI, Chercheur au CNRS.

Difficile de résumer ces 2 jours de colloque, particulièrement réussi, grâce à une immersion complète dans le site, adapté pour offrir une outil pédagogique, au service des 140 inscrits, territoriaux curieux de mieux connaître cette période de notre histoire, de mieux comprendre les engrenages qui ont conduit au pire, pour éviter que tout cela ne recommence.

« Chacun peut réagir, chacun peut résister, chacun à sa manière »

Ces quelques mots ont ponctué la visite commentée du Site-mémorial, une occasion unique pour des agents territoriaux de se confronter à ce passé de la seconde guerre mondiale en France, de décortiquer les mécanismes du rejet de l’autre, du basculement d’une démocratie vers un régime autoritaire, des formes de soumission ou au contraire de résistance, mais aussi du rôle des fonctionnaires de l’Etat durant ces événements. Il n’est jamais question de jugements, mais d’une analyse scientifique, éclairée par des recherches en sciences sociales notamment.

La force de ce site, c’est précisément ce travail scientifique qui cherche à comprendre les mécanismes humains qui conduisent au génocide, celui de la Shoah, mais également ceux des arméniens, des tsiganes et des Tutsis du Rwanda, et l’on apprend ainsi que quels que soient les lieux, les époques, il existe des similitudes, un terreau favorable.

Les ateliers ont permis en groupe, de réfléchir à ces questions, d’échanger et de partager nos réflexions à l’aune de nos pratiques professionnelles, le passé comme miroir du présent et de l’avenir, avec ces questions, comment passe-t-on, de l’obéissance à la soumission, de la loyauté à l’allégeance, de la liberté à l’habitude d’être libre, du discernement à la dépendance ou à l’influence.

Des expériences scientifiques menées dans les années 60 ont essayé de montrer comment l’être humain pouvait se retrouver dans des situations de soumission aveugle à l’autorité, d’abandon de soi (état agentique), c’est l’expérience de MILGRAM, bien connue ou celle de Philip ZIMBARDO, psychosociologie, sur « l’effet Lucifer » et les  phénomènes de groupe.

Notre rôle d’agent territorial, n’est-il pas plutôt que d’obéir, celui de servir le bien commun ? cette question nous invite à retrouver des instances de débats et de partage.

L’agir décisionnel, c’est cette capacité à être non pas seulement dans l’exécution, mais dans le faire, pour réinvestir du sens dans l’action du fonctionnaire pour préserver le bien commun.

La responsabilité du fonctionnaire n’est-elle pas aussi de désobéir ? c’est bien ce que prévoit l’article 40 du Code de Procédure Pénal et notre statut doit ou devrait protéger les fonctionnaires des dérives qui pourraient survenir dans l’exercice de leurs fonctions.

N’oublions pas que l’article 1er de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, pose le principe des « distinctions sociales fondées sur l’utilité commune » (= l’intérêt général). Les fonctionnaires font partie de cette catégorie qui disposent de prérogatives en vue de la réalisation de l’intérêt général. Ce rappel est à lui seul un levier sur le sens de la justification des missions du fonctionnaire et de sa responsabilité.

En occident la notion de responsabilité renvoie à plusieurs champs :

  • – le champ bureaucratique et mécanique (exécutant)
  • – le champs juridique (imputabilité, culpabilité)
  • – le champs de la responsabilité éthique, c’est-à-dire, d’être en capacité de répondre du bien fondé de sa décision et de l’action qui en découle, c’est cela l’agir décisionnel, qui peut conduire à des conflits de valeurs, écart entre la conformité à l’autorité et les valeurs qui guident l’action.

L’agir décisionnel, c’est rentrer dans un processus actif de décision, pour ne pas rester dans le champs des idées, celui des valeurs incantatoires, c’est réduire autant que possible l’écart entre les pratiques et les normes, c’est cela l’éthique de responsabilité.

La dernière partie du colloque, animé par Hugues PERINEL a réuni autour d’une table ronde le Président de la Fondation du Camps des Milles, Alain CHOURAQUI, le Défenseur des Droits, Jacques TOUBON, mais également des personnalités lanceuses d’alerte, Véronique VASSEUR, ancien Médecin chef de la maison d’arrêt de la Santé qui a dénoncé les conditions de vie en milieu carcéral et Irène FRACHON, pneumologue hospitalière, qui a dénoncé voici près de 10 ans le scandale sanitaire du Médiator. Ces interventions étaient éclairées par un juriste bien connu des colloque et formations organisées par le CNFPT, Samuel DYENS qui vient de rejoindre le Cabinet d’avocats d’Yvon GOUTAL après avoir exercé des fonctions de Direction Générales pendant de nombreuses années.

Il a été beaucoup question au cours de cette table ronde, des moyens de protéger les lanceurs d’alerte, de leur statut même au sein des collectivités territoriales, de l’ambivalence de la notion d’obligation de réserve qui ne figure pas dans la loi de 1983, comme l’a rappelé Samuel DYENS, qui ajoute que l’obligation de « modération » ne signifie pas que le fonctionnaire ne dispose pas d’une liberté d’expression.

Le Projet de Loi sur la déontologie et les droits et obligations des fonctionnaires, constitue selon Samuel DYENS, une première avancée, car il permet de faire une compilation de ces droits et obligations et de poser le principe du référent déontologique, du droit au conseil déontologique, même si l’organisation en interne reste une vraie difficulté.

La conclusion du colloque par Alain CHOURAQUI et le Défenseur des droits a permis de rappeler le rôle fondamental des fonctionnaires, notamment territoriaux, dans les possibles dérives d’un Etat sécuritaire ; le rôle également du statut de la fonction publique et de dénoncer les dérives qui conduisent les collectivités territoriales à privilégier les moyens au détriment des finalités de l’action publique.

Impossible dans une période aussi troublée, dans un contexte de crise, de rejet de l’autre, de tentations sécuritaires, de ne pas penser au rôle que les fonctionnaires doivent avoir pour éviter les fractures dans la société, à notre vigilance et à notre responsabilité, celle de l’agir décisionnel !

Pour en savoir plus sur ce colloque, programme ICI, en attendant une restitution sans doute par le CNFPT.