Retour sur un colloque organisé à la Faculté de Droit de Rouen par le CUREJ sous la direction scientifique des professeurs Arnaud HAQUET et Benoit CAMGUILHEM le 20 octobre 2017.

Une fonction publique qui porte les valeurs de la République

Un discours martelé par Marylise LEBRANCHU, Ancienne Ministre de la Fonction Publique. « Ce sont les fonctionnaires qui portent les valeurs de la République ». Dignité (y compris dans leurs comportements extra professionnels), impartialité, intégrité, probité, neutralité permettent d’incarner les fondamentaux de la vie citoyenne. « Ce serait un archaïsme violent que de penser que si on donne tout au privé c’est mieux ». La conception du PPCR a été une réponse au « mal traitement » des fonctionnaires.

Le statut : un objet juridique forgé au fil du temps

Arnaud HAQUET est revenu sur le sens du mot « statut » absent dans son sens juridique du dictionnaire comme si l’ensemble des droits et obligations qui s’y rattachent était une évidence. Il a pris corps sous des formes diverses (à l’origine entendu au sens d’un ensemble de règles régissant des communautés laïques ou ecclésiastiques) avant de s’enrichir pour réguler, sécuriser des modes d’intervention. Et de rappeler l’esprit du statut de 1946 (après celui de triste réputation de 1941 sous Vichy) bâti sur un compromis entre l’autorité de l’Etat, le principe hiérarchique et la libre administration. Il s’est traduit par une soustraction des agents publics au régime du droit commun du travail, l’affirmation du principe de recrutement par concours, du principe de la carrière,…en veillant à construire une fonction publique opposable au pouvoir politique et capable de lutter contre l’arbitraire et le clientélisme. Une construction progressive qui s’est traduite lors des lois de décentralisation par une consolidation d’un statut homogène pour les trois fonctions publiques mais aux versants spécifiques.

Le statut : quelques contresens à éviter

Christian VIGOUROUX, Président de section honoraire au Conseil d’Etat pose quelques jalons.

Le statut serait immobile ? Il est en réalité en perpétuel mouvement. Des dizaines de milliers de textes le régissent, de nombreuses jurisprudences l’ajustent, preuve d’une adaptation constante aux réalités terrain.

Le statut génère des privilèges ? Sortons d’une vieille conception révolutionnaire de l’aristocratie…

Le statut est une cathédrale vide et inutile ? La vie publique est régie par lui…

Le statut entraîne une dépendance ? Il est justement bâti pour servir l’indépendance et reconnaître en chaque agent un serviteur de la chose publique.

Le statut est monolithique ? Il y a certes un statut général pour définir les droits et devoirs de chaque fonctionnaire mais de multiples statuts particuliers.

Le statut est né sous le signe de l’égalité. Pour preuve l’égal accès aux emplois publics par concours. Il est régi par des principes généraux de droit unificateurs et sous la pression du droit européen et des réformes de convergence, il s’harmonise. Le statut porte les valeurs de probité, d’impartialité, d’efficacité. S’il est déconsidéré, c’est peut-être parce qu’il n’est pas évalué. Le principe d’utilité publique peut tout à fait valablement être ausculté à l’instar des dispositifs de recherche dans les grands laboratoires de type Pasteur. Le statut ne vise pas qu’à authentifier les actes, assurer la sécurité publique, en clair les activités régaliennes. Il a vocation à avoir des fonctions plus modernes en prise avec la société : accueillir dans la diversité, agir avec le goût du risque, s’adapter, inventer tout en affirmant les valeurs de la République.

Un statut pour les contractuels ?

Olivier COUDRAY, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation, rappelle, qu’au-delà du paradoxe, force est de constater que dans la fonction publique se côtoient un statut général, des statuts généraux et des statuts particuliers. Le contrat est figé à la date à laquelle il se constitue. Il porte sur la relation de travail qui se noue avec l’administration. Le contrat de droit public est un contrat d’adhésion et il était difficile de ne pas encadrer cette gestion du contrat. Le Conseil d’Etat, pour préserver les intérêts publics, la liberté des employeurs, a jugé sain de ne pas appliquer le code du travail.

3 décrets statutaires portent dispositions générales relatives aux agents contractuels dont un pour la territoriale. Ils définissent un corps de règles qui visent toutes les situations pendant la « carrière » : période d’essai, sortie de service, congés, dossier individuel, temps partiel…certains étant communs avec les fonctionnaires (droit de grève, rémunération, liberté d’entreprendre,…)

L’agent contractuel n’est pas un co-contractant normal. Le contrat est traité comme un acte unilatéral avec possible recours pour excès de pouvoir d’où des difficultés contentieuses. Il ne peut faire l’objet que d’un réexamen. Et il n’existe qu’un contrôle restreint du juge.

Julien THOMAS, Maître de conférences en droit public à L’Université  de Rouen, a étudié le lien d’interdépendance entre les élus, exerçant une activité d’intérêt général, et leurs collaborateurs.

Trois contraintes liées : l’activité s’inscrit dans un temps donné puisqu’une alternance peut imposer à l’élu un retour à un simple état citoyen. Elle suppose qu’on s’y consacre et qu’on mette en œuvre compétences et moyens de travail.

Compte-tenu du levier de pouvoir que le statut d’élu confère, les risques d’abus sont possibles. Pour autant l’élu doit disposer d’un espace de liberté pour innover. Il existe des règles dérogatoires au droit commun qui protège la fonction et la « contient ». Il existe des règles formelles de gestion mais pas de statut complètement abouti. Des moyens sont octroyés pour assumer la fonction (indemnités instaurées dès les Etats Généraux de 1989 pour assumer les frais de bouche et d’hébergement en contrepartie d’une action au service de la Nation désintéressée ! et consolidée par la constitution de 1848 parallèlement à l’instauration du suffrage universel direct). Constatons néanmoins que la situation actuelle reste très inégalitaire entre les élus des petites communes et ceux des grandes collectivités.

Le cumul des mandats est dès lors envisagé comme un moyen de compenser pour tenir « son rang » en sus de la professionnalisation. Situation qui sera revue lors de la loi organique et ordinaire du 14/02/2014 limitant les cumuls. Des moyens matériels et humains sont octroyés pour les transports, franchise postale, voiture de fonction avec chauffeur, remboursement de frais, droit à la formation renforcé depuis 2015. A cela s’ajoute la rémunération des collaborateurs dans le cadre d’une relation contractuelle avec les parlementaires (risque de perte d’emploi notamment). D’où la nécessité d’identifier un statut (Loi de 2017) pour rétablir la confiance, sécuriser le dialogue social et contrôler l’accomplissement des tâches (fiche de poste).

L’insécurité juridique est encore pire pour les collaborateurs que pour les élus territoriaux. Il n’y a aucune protection. La connivence de fait induit une certaine légèreté par rapport au code du travail d’où la nécessité d’un statut en la matière.Un certain nombre de questions restent pendantes relatives à la retraite, au retour à l’emploi. D’où les textes relatives à l’encadrement des acteurs de la vie publique…(11/10/2013 transports/ 14/02/2014 : cumul/ 31/03/2015 : charte de l’élu/ 9/12/2016 : transparence/ 15/09/2017 : confiance, interdiction des emplois familiaux).

A noter un durcissement des exigences relatives aux risques de conflits d’intérêt : l’exemple type est l’introduction du déontologue, et les dispositions relatives aux  régularisations des situations fiscales. Plaidoyer donc pour un statut codifié pour les parlementaires, les élus territoriaux et les collaborateurs de cabinet…

Eléments de contestation

Benoit CAMGUILHEM, Maître de conférences en droit public à l’Université de Rouen rappelle que le premier statut en 1844 visait à lutter contre l’arbitraire  et visait à empêcher les fonctionnaires de faire grève dans le mouvement d’anti -syndicalisme qui perduré jusqu’au début du 20ième siècle. Le statut de 1946 après le douloureux épisode du statut sous Vichy a réaffirmé la défense des grands intérêts républicains.

Ce qui est contesté n’est pas tant le fait qu’il y ait un statut mais à quoi il s’applique.

Les éléments de contestation ont pris des formes particulières.

-Formellement : au début de XIXème , s’instaure une compétence législative sur les règles applicables afin de ne pas perdre la main sur les recrutements (par voie de concours et pas de désignation arbitraire par le parlement). S’ajoute ensuite la crainte que le statut n’entraîne l’uniformisation excessive des charges publiques (1873, avis du CE + constitution de 1946 dans les travaux préparatoires visant la critique de l’uniformisation.)

-Matériellement : une peur que trop de garanties ne soient accordées aux fonctionnaires par l’exécutif avec un risque d’atteinte à l’autorité de l’Etat. Les syndicats par ailleurs rejettent la spécificité des fonctionnaires. Ils souhaitent le maintien du droit syndical de 1884 afin que chacun reste « maître de son travail ». En quelque sorte, le maintien d’une logique ouvrière.

Anthony TAILLEFAIT, Professeur de Droit Public à l’Université  d’Angers, insiste sur le dépérissement progressif du système de carrière depuis 1946. Sous Napoléon, le fonctionnaire était agent du pouvoir exécutif. Au début de la IIIè République, on s’assure de la loyauté républicaine du fonctionnaire (« un soldat civil à son poste ») avec une exclusion de toute analogie avec le secteur privé. Ce qui suscite une opposition des syndicats qui veulent éviter tout lien d’allégeance du contrat de travail et limiter la « dépendance ».

En 1946, s’opère un compromis entre le Parti Communiste et les Démocrates Chrétiens, soucieux d’une maîtrise des recrutements.

La loi de 2005 (reconversion, reclassement, extension du recours au contrat) conduit progressivement à un droit public du travail et on s’éloigne progressivement du système de la carrière.

Quant aux résistances : pour certains, l’Etat est une organisation comme une autre, avec une dilution des distinctions et un rejet de la fonction publique de carrière avec plus ou moins de radicalité.

La fonction publique territoriale

Béatrice THOMAS-TUAL Maitre de conférences en droit public à l’Université de Bretagne Occidentale met l’accent sur la séparation du grade et de l’emploi déjà présent dans la loi de 1834 et rappelle les fondamentaux juridiques de la fonction publique territoriale. En marquant le fait qu’il s’agit d’un double système de carrière et d’emploi.

Claude SORET-VIROLLE, Directrice Générale Adjointe du CIG de la Grande-Couronne et présidente de l’ADT INET plaide pour les incontournables du statut qui a prouvé sa plasticité. Mais le débat statutaire ne peut s’exonérer d’une vision plus large  sur la soutenabilité des politiques publiques et des ressources affectées. la volonté de réduire le nombre de fonctionnaires ne peut pas faire l’impasse d’une réflexion sur la consistance et le niveau des services à la population. Ce que fait valoir très bien un rapport du CESE de janvier 2017. Les pressions sur le statut ont dépendu historiquement de la posture des gouvernants : introduction d’une dose  de libéralisme ou au contraire plus d’Etat Providence. Pourquoi vouloir le supprimer , alors même qu’il permet d’incarner et de préserver les valeurs de service public et de jouer une certaine forme d’amortisseur social? Il  conviendrait avant cela de s’en emparer. Par un management responsable, en donnant du sens au travail des agents et en valorisant les structures d’accompagnement (Centre National de la fonction Publique territoriale, Centres de Gestion), garant pour l’un de la formation et de la professionnalisation des agents et pour les autres d’une optimisation de la gestion des ressources humaines par un fort effet mutualisateur.